Jean-Pol BENOIT a participé au Certificat en gestion positive des conflits interpersonnels (année académique 2002-2003). Lors de la remise des certificats et de l’accueil des nouveaux candidats à cette certification en septembre 2003, Jean-Pol Benoît nous a fait part de ce qu’il a retiré de ce cursus de formation.

Lettre ouverte, initialement publiée dans le trimestriel n°85, en 2003.

Je suis professeur de religion à mi-temps essentiellement dans l’enseignement technique et professionnel ; ce travail je le trouve difficile.

Malgré mon âge déjà bien avancé, 48 ans depuis peu, je suis un jeune professeur. Il y a 10 ans, j’ai perdu mon emploi dans le secteur social suite à un conflit mal géré. Comme j’avais besoin d’argent pour élever nos 3 enfants, j’ai pris le boulot qui se présentait.

En ce début d’année scolaire, je vis une situation très difficile. Si je la gère plus ou moins positivement, c’est en grande partie grâce aux outils appris lors de mon cursus de formations à l’Université de Paix : un certificat de base en gestion positive des conflits interpersonnels cohérent et qui permet d’agir positivement et concrètement dans la vie de tous les jours.

Mon histoire. Quand je rentre à l’école ce 1er septembre 2003, je constate que je perds toutes les classes où j’étais heureux d’aller donner cours. Il n’y a aucune mauvaise intention de la part de la direction. Il y a des dédoublements qui ne se font pas, des jeux de chaise musicale liés à l’ancienneté, etc. J’ai 4 heures en moins (comme j’étais temporaire pour ces 4 heures, cela fait 250 € en moins par mois). J’ai à nouveau des classes les plus difficiles le vendredi après-midi, ma demande de changement d’horaire n’ayant pas été entendue. C’est comme cela que je retrouve une classe de 4ème électromécanique de 24 élèves avec qui j’avais eu toutes les peines du monde à m’en sortir en 3ième.

J’ai donc un très grand sentiment de frustration et ce sont d’abord ma femme et mes enfants qui font les frais d ma mauvaise humeur.

J’ai aussi un sentiment de jalousie : ma fille aînée vient de finir ses études de professeur de mathématique ; elle est engagée pour un temps plein dans mon école ; elle ira dans deux classes où je vais aussi. Elle est en super forme et maîtrise super bien son entrée dans le métier.

Nous sommes vendredi 12 septembre dernier. Dans cette classe, je vis le chahut complet : cris, bousculades, lancement de projectiles, commentaires pour faire rigoler chaque fois que je parle.  Quand je mets ma veste à la fin de l’heure, la manche est attachée avec un fil en plastic. Bref la totale.

Je me sens très en colère mais surtout anéanti, découragé. J’ai envie de tout arrêter, je pleure un long moment.

Mon premier besoin est un besoin de protection : ne plus retourner en classe lundi et le médecin me fait un certificat d’une semaine ; il se termine aujourd’hui, 19 septembre 2003, date de la remise des certificats.

Je me calme, petit à petit, comme d’habitude. Mon premier réflexe est de me dire que je dois prendre sur moi, comme on dit, que je dois me montrer fort et retourner à l’école comme un soldat courageux qui retourne au front. Mais le courage est-ce bien se mettre sur le dos des charges impossibles ?

Ce que j’ai avalé cette fois-ci, je n’ai pas envie de le digérer, « digérer du poison à la longue ça intoxique et ça rend malade » . J’ai plutôt besoin de dégueuler, mais on ne dégueule pas n’importe où…

Je décide d’aller vider mon sac chez le directeur. Il s’appelle Marc et l’an dernier c’était encore un collègue. Dans son petit mot de rentrée, il s’est dit décidé à soutenir ses professeurs, à aller sur le terrain s’il le faut, c’est l’occasion de vérifier…

Marc m’écoute très longuement avec beaucoup d’empathie, il me dit qu’il a déjà vécu cela, qu’il y a d’autres professeurs dans l’école qui le vivent, que le chahut en classe est un sujet tabou.

Je lui parle de ma formation à l’Université de Paix et il me dit qu’il est très intéressé, qu’il a envie de mettre en place des nouvelles choses. Il se dit prêt à m’aider. On se quitte là-dessus. Je me sens mieux mais mon problème n’est pas résolu.

Je décide de contacter deux collègues, professeur de religion avec qui je m’entends bien. J’ai besoin d’être soutenu, trop souvent dans la vie ; j’ai voulu par amour-propre me débrouiller seul comme un grand, être fort, montrer que moi au moins…

Philippe et Geneviève viennent passer deux heures avec moi. Nous réfléchissons à des idées concrètes et nous rédigeons une petite note à Marc.

Nous demandons que le cours de religion soit suspendu provisoirement dans cette classe où je suis en difficulté. Les heures de cours seront consacrées à un « conseil de tous » où seront présents tous les élèves, Marc le directeur et moi. L’objectif : renouer le dialogue et permettre au cours de reprendre dans des conditions meilleures.

Comme Marc s’était montré intéressé, je joins le catalogue des formations de l’Université de Paix ainsi qu’un extrait de mon travail de fin de certificat où je racontais deux anecdotes illustrant des résolutions positives de conflit vécues en classe.

Jeudi 18 septembre matin, le directeur me téléphone. Il est d’accord avec ma proposition et m’informe qu’il ne connaît pas bien les élèves. Je sens qu’il a un peu peur. Nous discutons de la manière de faire : il interviendra en premier pour rappeler que le cours de religion est un cours à part entière et qui doit être respecté comme tel ; ensuite, je lirai un texte aux élèves en essayant de respecter les quatre étapes de la Communication Nonviolente : rappeler les faits, exprimer ce que j’ai ressenti, dire mes besoins de professeur et formuler des demandes concrètes. Les élèves seront ensuite invités à faire la même chose et chacun lira son texte. Cela devrait déboucher sur un contrat où nous nous mettrons d’accord sur des règles pour mieux vivre ensemble.

Le conseil de tous aura lieu lundi 22 septembre en 4ème heure. C’est la première fois qu’une telle expérience se fait dans l’école. Je suis convaincu que ce sera positif pour moi, pour les élèves, pour le directeur et pour l’école en général.

Je ne suis cependant pas euphorique : les problèmes de la classe ne vont pas disparaître en une fois et l’école ne va pas accueillir d’emblée ce type de démarche. Certains professeurs se montreront intéressés, auront peut-être envie d’avancer dans cette voie mais il y aura aussi ces discours déjà souvent entendu « si on se met à discuter avec les élèves où va-t-on ».

Au cours de la conversation avec le directeur, ils m’annoncent deux autres bonnes nouvelles. D’une part, il me propose deux heures de plus en 7ème professionnelle (une classe de 6 garçons très chouettes avec qui j’aurai plaisir à travailler : ça fait déjà 125 € de récupéré). D’autre part, il a aussi changé mon horaire ; je n’aurai plus cours le vendredi après-midi. Comme quoi la Communication Nonviolente, ça marche.

Peut-être certains d’entre vous auront-ils envie de connaître la suite de l’histoire : le texte que je lirai aux élèves je l’enverrai à l’Université de Paix (2). Ca me fait plaisir de venir à Namur : j’y suis né, j’y ai fait mes études à Malonne et l’Université de Paix est un lieu où je me sens soutenu, encouragé, relié à d’autres personnes qui travaillent pour des relations plus positives.

Merci de m’avoir écouté : si toutes les classes où je vais étaient comme vous, le métier de professeur serait bien agréable. Mais finalement, créer un climat de paix en classe est-ce que c’est aussi impossible qu’on veut bien le dire ?