Dossier esprit critique et complotisme

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Construction et application d’une grille d’analyse à des documents médiatiques

Matériel : 3 documents vidéo.

Si possible, disposer de tablettes / écrans / d’une salle informatique avec une connexion Internet (permettant de revoir la vidéo, d’enquêter sur d’autres sites pour trouver des réponses aux questions, etc.).

Résumé de l’activité

  1. Diffusion d’un document vidéo et premières impressions
  2. Elaboration de questions critiques déclinant un ou plusieurs angles d’analyse d’un document médiatique (auteur, faits, média diffuseur, source, structure argumentative)
  3. Compilation d’éléments typiques permettant de trouver des réponses aux questions formulées

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Sur base de 3 documents vidéo, construction et application d’une grille d’analyse. Au fur et à mesure des applications, la grille s’enrichit de questions critiques et de pistes pour trouver les réponses.

Un exemple de grille réalisable avec les élèves se trouve plus bas dans l’article.

Cette activité s’inspire de deux activités, élaborées respectivement par Carmen Michels et Julien Lecomte.

Cf. MICHELS, C., L’apport de l’éducation aux médias pour le développement de l’esprit critique. Quelle importance accorder au choix de la pédagogie ?, IHECS : Bruxelles, 2017.

Résumé du mémoire de Carmen Michels

L’activité de Carmen Michels (comme elle est intégrée dans cette formation) a montré son efficacité dans le développement du questionnement critique (« habits of inquiry ») d’adolescents ayant pris part à celle-ci. Concrètement, elle consiste à susciter et à développer un questionnement chez les participants, de manière à interroger en profondeur les documents médiatiques auxquels ils sont confrontés. Ce questionnement permet aux adolescents de prendre du recul face à l’information, de l’analyser avant de juger celle-ci. De nombreux internautes ignorent cette étape de prise de recul.

L’émergence des nouveaux médias a transformé les capacités de l’usager médiatique à tel point que le citoyen récepteur devient à la fois un relayeur et créateur d’informations. Ceci et la vitesse à laquelle les informations nous parviennent sont seulement deux raisons qui expliquent que les rumeurs et la désinformation se multiplient de nos jours. Ce sont des raisons pour lesquelles il est nécessaire que le récepteur utilise sa pensée critique afin de traiter ces informations et en tirer du sens.

Concernant l’efficacité d’un tel cours, Carmen Michels a pu constater que les classes l’ayant suivi ont eu beaucoup plus de facilités à questionner un article inconnu que la classe n’ayant pas suivi de cours auparavant.

Elle s’est également intéressée aux raisons invoquées par les élèves pour fonder leur jugement (s’ils croient ou non à la véracité de l’article). On peut constater que les classes ayant suivi un cours auparavant semblent être plus susceptibles de prêter attention aux indices relatifs à la fiabilité de l’article (informations concernant l’auteur, les sources, le média) que ceux qui n’ont pas suivi de cours. Le travail a donc pu démontrer que le dispositif proposé leur a non seulement appris comment questionner un document médiatique, mais également à utiliser les fruits de ce questionnement pour fonder leur jugement. En effet, l’activité leur a également fait comprendre que des éléments concernant la fiabilité de l’article ont plus de valeur pour évaluer la véracité de l’article que la simple estimation de la crédibilité des faits ou événements présentés. On peut donc conclure que les cours donnés sur la question changent la manière dont les élèves abordent un document médiatique.

Activités d’éducation aux médias

L’activité de Julien Lecomte, réalisée avec des adolescents de 16-18 ans, montre qu’il ne suffit pas de donner une liste de questions à se poser aux jeunes pour qu’ils sachent comment y répondre. Le but n’étant pas de leur donner les réponses, il importe qu’ils puissent prendre conscience d’indices ou de démarches leur permettant de se forger leur propre opinion.

Après avoir réalisé l’exercice de déterminer « qui dit quoi, pourquoi ? » pour un échantillon de sites donné, les élèves procèdent à des recherches concernant les thèmes de leurs travaux de fin d’année respectifs. Une fois laissés à eux-mêmes, ils n’ont globalement pas réussi à approfondir la question « qui ? ».

Voici un exemple de dialogue typique :

« Est-ce une source fiable, ça ?

  • Je ne sais pas.
  • Qui l’a produite ?
  • Je ne sais pas.
  • Tu peux consulter le « qui sommes-nous ? », le « contactez-nous », ou le sigle par exemple. S’ils n’indiquent pas qui ils sont, il faut probablement être d’autant plus vigilant.
  • [Après navigation dans le site] C’est le SPF Justice.
  • Bien, et qui est-ce ?
  • Je ne sais pas ».

C’est une illustration caractéristique à la fois du potentiel que recèle Internet et de l’attitude « perdue » ou « démunie » qu’ont de prime abord certains élèves face à ce média. En l’absence de repères ou de règles, ils procèdent à l’intuition, alors qu’en tapant « SPF Justice » sur Google ou un autre moteur de recherche, on peut parvenir très rapidement à identifier clairement ce que c’est (source).

Le but de l’activité est que les participants élaborent leur propre grille d’analyse, qui leur permet de questionner tout document médiatique. Cette grille d’analyse se compose de 5 angles d’approche (aussi inspiré de BePax), que nous présentons brièvement aux participants (et qu’ils déclineront et préciseront ensuite par eux-mêmes) :

  • Faits (Quand se sont-ils déroulés ? Où ? Les faits et les chiffres peuvent-ils être interprétés autrement ? S’agit-il d’une version confirmée ? … ?)

→ Le premier angle d’approche rassemble toutes les questions qui s’intéressent aux faits transmis par le média. Cet angle est particulièrement important pour la déconstruction d’une théorie du complot, dont une des principales caractéristiques est qu’elles proposent une interprétation alternative des faits.

  • Auteur (Est-il identifiable ou anonyme (et pourquoi ?) ? Quelle est son expertise ? Quels autres articles a-t-il écrit ? Quel est son curriculum ? Est-ce un témoin ? Quelles sont ses intentions ? … ?)

→ Ce deuxième angle d’approche se penche sur l’auteur du document médiatique. Ces questions permettent d’en connaître plus sur l’identité de l’auteur ainsi que des éventuels intérêts poursuivis par ce dernier.

  • Média diffuseur (quelle est la ligne éditoriale ? A qui appartient-il ? Quelle est sa réputation ? Idéologie éventuelle ?)

→ En troisième lieu, la grille d’analyse s’intéresse au média diffuseur, en questionnant sa ligne éditoriale ainsi que la rapidité d’apparition du document publié. Cet angle d’approche autorise à multiplier les éléments qui permettent d’évaluer la fiabilité du média.

  • Source(s) (explicites ? Diverses ? Expertes ? Impartiales ? Vérifiables ? … ?)

→ Les questions qui interrogent les sources des informations publiées et, plus précisément, leur nature et leur diversité constituent le quatrième angle d’approche.

En dernier lieu, nous avons ajouté un angle d’approche qui s’intéresse à la « structure argumentative » présentée dans le document.

  • Structure argumentative (Arguments logiques ? Information ou persuasion ?)
    → Cette cinquième et dernière catégorie de questions vise à repérer d’éventuels mécanismes de conviction utilisés par l’auteur ou le média.

La grille d’analyse finale rassemble par conséquent une série de questions critiques regroupées selon l’aspect questionné. Bien que la grille propose une multitude de questions permettant de compulser un maximum de genres médiatiques différents, il convient de préciser que la grille ne peut pas être considérée comme étant exhaustive, au contraire, elle encourage son utilisateur à la compléter selon ses besoins.

Après une brève introduction qui sert à donner la définition d’une théorie du complot et de la différencier d’une simple rumeur, un premier document (par exemple, une vidéo complotiste) est diffusé.

Après le visionnage, il est important de mettre la vidéo dans le contexte, pour assurer que chacun sache de quel événement elle parle. De plus, il s’agit d’un moment où les participants sont invités à s’exprimer et à donner leur avis :

  • Quelle est la version officielle ? Quelle est la théorie du complot ?
  • Qu’est-ce que vous en pensez ?

Cet échange permet également de noter qu’il y a un énorme pouvoir de conviction qui émane des théories du complot visionnées en classe.

Carmen Michels a demandé aux élèves qui, parmi eux, doutait de la version officielle d’un événement déjà avant le visionnage d’une première vidéo complotiste à propos de l’événement en question, et qui doutait après visionnage.

Un très petit nombre d’élèves ont admis avoir déjà douté au préalable, tandis que la majorité des élèves disaient ne pas en douter et déclaraient avoir changé d’avis après la visualisation de la vidéo.

Il est stupéfiant de constater dans quelles mesures ces vidéos semblent pouvoir venir perturber les croyances antérieures de l’élève. Quant à la question de savoir pourquoi ils changeaient d’avis et doutaient dès à présent, ils répondaient en récitant un ou plusieurs arguments présentés dans la vidéo en disant que ceux-ci ne pouvaient guère être le fruit du hasard.

Après cela, en sous-groupes, formulez des questions par rapport à deux angles de la vidéo (parmi les 5 angles précités)

  • Temps de réflexion en sous-groupes. Pendant ce temps (environ 10 minutes), les formateurs passent dans les sous-groupes pour aiguiller les questions, donner l’un ou l’autre exemple.
  • Partage en grand groupe et mise en commun de la grille

Enfin, nous les interrogeons sur les moyens de trouver des réponses aux questions formulées : comment fait-on pour trouver les réponses aux questions compilées ? Où les trouve-t-on ?

Nous accompagnons leur navigation et voyons quelles réponses nous pouvons trouver.

Récapitulatif au fur et à mesure de la formation sur des éléments « techniques » permettant d’enquêter :

Comment vérifier une image sur le web ?

Le but est que cette grille ne permet non seulement de questionner les théories du complot, mais également tout autre document médiatique.

Pour notre expérimentation, nous avons analysé successivement 3 documents vidéo, l’une sur les attentats à Charlie Hebdo, l’une sur les attentats du 11 septembre 2001 et la dernière concernant Michael Jackson. Titres et liens des vidéos :

Les deux premières vidéos contenaient de nombreuses caractéristiques que l’on retrouve dans des vidéos complotistes.

La troisième vidéo prétend que Michael Jackson est un complot extraterrestre. Contrairement aux deux premières vidéos, celle-ci est une parodie.

Yves Collard, spécialiste en éducation aux médias, estime qu’il est important de veiller à ce qu’une leçon au sujet des théories complotistes ne devienne pas trop étouffante, c’est pourquoi il propose d’insérer une touche d’humour (2016, décembre). L’émission Le Before du Grand Journal a produit toute une séquence parodiant les vidéos complotistes. Nous avons choisi « le complot de Michael Jackson » qui s’intéresse à la question : « Est-ce que Michael Jackson était réellement un complot extraterrestre ? ».

Tout en présentant les principales caractéristiques contenant une théorie du complot, cette vidéo montre de manière efficiente que l’on peut créer des théories du complot autour de n’importe quelle personne ou sujet.

Après application à une première vidéo, nous reproduisons le processus :

  1. Diffusion de la vidéo. Quelle est la version officielle ? Quelle est la théorie du complot ? Qu’est-ce que vous en pensez ?
  2. En sous-groupes, formulez des questions par rapport à deux angles de la vidéo
  3. Partage en grand groupe et complétion de la grille.
  4. Comment faire pour trouver les réponses aux questions compilées ? Où les trouve-t-on ?

Exemple de grille réalisée avec les élèves (téléchargez-là en PDF)

Lorsque la grille est élaborée, nous l’appliquons enfin à un article écrit en ligne. Ici, nous avons choisi un article du site Panamza[.]com.

Construction d’une fiche d’évaluation

Rassemblez ensemble avec votre groupe des critères qui vous permettent d’évaluer les informations, images et leurs sources.

Réfléchissez ensuite comment vous pouvez concrètement vérifier ces critères !

Critères d’évaluation Méthodes de vérification
Critère 1 Méthodes de vérification correspondant à ce critère
Critère 2 Méthodes de vérification correspondant à ce critère
Critère 3 Méthodes de vérification correspondant à ce critère
Critère 4 Méthodes de vérification correspondant à ce critère
Critère 5 Méthodes de vérification correspondant à ce critère