« La violence commence là où finit la parole ». – Marek Halter

En 2009, plus de 500 enfants en Communauté française ont bénéficié du programme de formation « Graines de médiateurs », soutenu par la Fondation Bernheim. Comment, par l’apprentissage d’habiletés sociales, l’Université de Paix peut-elle faire progresser une culture de la non-violence et de la paix ?

La gestion de conflit dans l’éducation à la citoyenneté

Un article rédigé par Cathy Van Dorslaer et initialement publié en 2009, dans notre trimestriel.

Durant deux années, Nathalie Ballade et moi avons dispensé le programme « Graines de médiateurs » dans quatre classes de l’Institut Saint-Joseph à Malonne. Au fil de vingt séances dans les classes, de coachings des enseignants au terme de chacune d’elles, de deux journées de formations pour toute l’équipe pédagogique, de deux conférences pour les parents, de six journées de formation pour les enseignants concernés, des liens durables se sont créés. Des liens d’amitié nés de la confiance que chaque partenaire a accordée à l’autre, des partages réciproques de points de vue et de compétences, de la créativité sans cesse stimulée. Des liens qui, au-delà des enseignants, se sont noués avec les enfants, leurs parents, les différents adultes qui les encadrent. Permettant une construction solide et durable qui persistera après le départ de l’équipe de l’Université de Paix, au travers de l’enseignement des professeurs impliqués dans le projet et de leurs collègues qui se sont montrés curieux, intéressés et preneurs, mais aussi, au travers d’un projet d’établissement qui garantit sa pérennité et que la direction, les enseignants et les parents ont souhaité mettre en place.

Une atmosphère…

Le projet « Graines de médiateurs », qui vise à initier les enfants à la gestion positive des conflits, a été accueilli dans de nombreuses écoles volontaires. La méthodologie mise au point par l’Université de Paix n’a été qu’un outil, de mieux en mieux rôdé au fil des années et des expériences, pour planter ces graines et les faire fleurir. C’est le terrain qui les accueillent qui permet la floraison. Petites ou grandes écoles se sont déclarées partantes, de la ville ou des campagnes, avec des publics dits « difficiles » ou plus sereins. Dans toutes celles où le projet a éclos, un esprit, une ambiance, une caractéristique, une volonté particulière étaient déjà présentes, portés par un enseignant, quelques-uns ou toute une équipe.

En décrivant mon intervention à l’Institut Saint-Joseph de Malonne, c’est cette alchimie que je souhaite décrire, en prenant le temps d’évoquer, tout autant que la méthode et les résultats, mes impressions, mes coups de coeur, ce qui a fait des séances d’apprentissage et d’échanges des moments forts et inoubliables. Une façon de rendre hommage, de remercier, mais aussi l’occasion de témoigner qu’une vie plus sereine à l’école se construit avec des moments planifiés, organisés, réfléchis, tout autant qu’avec des humeurs, des ambiances, des gestes et des initiatives spontanés dont chaque acteur de l’enseignement regorge et qu’il est prêt à partager quand la place lui en est laissée.

Niché, tout en longueur, sur les flancs du village de Malonne, l’Institut Saint-Joseph. Une petite route à sens unique y grimpe et, au fil des saisons, chaudement emmitouflés ou en vêtements légers et colorés, les enfants empruntent les escaliers qui mènent aux cours de récréations en terrasse. Certains y viennent à pied (ribambelle d’enfants qui babillent, les plus grands tenant les plus petits par la main, foulant le tapis de feuilles mortes ou humant le parfum des lilas qui fleurissent aux alentours), d’autres à vélo (tout fiers de cette première étape vers l’autonomie), d’autres en voiture (et malgré le ballet régulier des voitures qui s’arrêtent devant l’école, on a le temps de recevoir la provision de bisous nécessaire pour la journée, de recevoir les dernières recommandations, de faire un dernier signe). Avec la mallette sur le dos bien sûr, mais aussi le ballon de foot pour la récré, un panneau pour présenter l’élocution, un bricolage fait maison, un bouquet de fleurs pour madame ou un gros gâteau pour fêter son anniversaire.

Je m’y suis rendue une trentaine de fois et à chaque fois, le charme a opéré, avant même d’entrer et de commencer les animations. La beauté de la nature qui l’entoure, la sérénité d’une école de village et l’accueil reçu à l’arrivée (un bonjour de tous, plus des bisous, des cris de joie, une proposition spontanée d’aide pour porter le matériel) ont fait que, à chaque fois, j’ai oublié la fatigue ou le stress d’une fin de semaine et que je me suis ressourcée avant le week-end, heureuse de partager mes outils avec des enfants et des enseignants enthousiastes, et de me nourrir des moments uniques et forts que nous allions vivre ensemble.

Après l’accueil de l’entrée (qui prend du temps mais quel bonheur), quelques escaliers, la traversée de couloirs qui, semaine après semaine, exposent de nouvelles réalisations d’enfants (dessins, panneaux sur des thèmes vus au cours, photographies de projets réalisés par la classe et puis -ce qui me fait plaisir- des traces du programme « Graines de médiateurs »), la salle des profs avec, en plus d’un nouvel accueil chaleureux, la bonne odeur du café matinal. C’est un vivier extraordinaire : lieu de concertation entre les enseignants dès le matin mais aussi centre de soutien, d’échanges conviviaux et humoristiques, elle est régulièrement traversée par des enfants qui transportent le potage de classe en classe ou les petites chaises colorées pour les animations, elle est de temps en temps « squattée » par les parents qui organisent des ventes de dagoberts au profit de l’école, et elle est toujours un refuge pour tout enfant souffrant, stressé, inquiet ou triste.

La cloche se fait entendre, il va être temps de commencer.

Dans la classe…

Nathalie a été chez les troisièmes années avec Monsieur André. Instituteur expérimenté et créatif, conteur connu par ailleurs, convaincu avant même notre arrivée que l’apprentissage se fera d’autant mieux que l’enfant se sentira bien, il a multiplié comme les petits pains les idées et suggestions apportées par l’Université de Paix.

J’ai été d’abord chez Madame Françoise et les troisièmes-quatrièmes. Avant de commencer l’animation, j’admirais les nouvelles réalisations d’enfants et la progression des apprentissages. Tant de choses se passaient entre mes interventions : des règles d’orthographes et de calcul s’ajoutaient au mur, des dossiers scientifiques s’empilaient, trouvant miraculeusement de la place entre des chefs d’œuvre qui séchaient avant de faire le bonheur des mamans et les bougies que l’on n’a pas oublié d’allumer pour soutenir un enfant qui s’inquiétait pour un proche. Surplombant le coin où avait lieu l’animation, des cordes auxquelles étaient accrochés les derniers sujets d’élocution. Nathan, si réservé et taiseux en début d’année, m’a expliqué les différentes espèces d’aigles qu’il avait répertoriées, m’en a montré les photos et a attiré mon attention sur les sujets d’élocution qui l’avaient enthousiasmé. Et puis surtout, au mur, au tableau, les animaux du conflit (chacune des attitudes face au conflit peut être représentée métaphoriquement par un animal), les bonhommes des sentiments, l’arbre des besoins, autant de signes que ce qui a été appris lors des séances précédentes a été retenu, intégré et servi de façon régulière.

Après la récréation, c’était la classe de 4ième de Madame Sophie. Les mêmes traces d’une pédagogie planifiée avec sa collègue s’étalaient sur des murs aux couleurs vives et toniques. Bien que la même préparation était prévue pour les deux séances, rien ne se passait jamais à l’identique. Un conflit vécu durant la récréation, l’émotion d’un enfant qu’il arrivait à mettre en mots de façon juste et forte, la dynamique du groupe, l’énergie du moment faisaient la différence.

L’après-midi, je retrouvais Madame Monique et ses petits poussins de deuxième année. Excités mais enthousiastes, ils adoraient particulièrement la météo et toutes les activités qui permettaient de parler de leurs sentiments. Ils étaient époustouflants du haut de leur 7 ans, évoquant les chagrins, les déceptions, les peurs propres à leur âge mais aussi leurs espoirs, leurs petits et grands bonheurs. Chez eux, tout était sérieux et profond. Les disputes et les réconciliations, les amusements et les fous rires entre copains, ce que Madame disait, ce que je leur apprenais avec mes girafes complices et attendries. Performance pour de si jeunes futurs médiateurs, ils étaient capables de s’écouter dans le plus grand silence, de reformuler avec empathie et compassion. L’émotion était parfois si forte que les larmes montaient aux yeux des adultes qui assistaient à ces moments magiques.

Tout un programme…

Pendant deux ans donc, à raison d’une séance par mois, les élèves de quatre classes ont acquis les compétences propres à la médiation, en suivant pas à pas le fil conducteur de la méthode mise au point par l’Université de Paix.

La cohésion du groupe, la confiance et la coopération ont d’abord été travaillées via des activités ludiques et créatives (cf. Graines de médiateurs, le guide pratique).

On a ensuite abordé le cœur du sujet, le conflit. En s’identifiant à un animal, chacun a pu découvrir comment il se positionne par rapport au conflit, comment les autres ressentent et vivent son attitude, comment il peut faire pour en sortir et conserver de bonnes relations avec les membres de la classe. Les conflits récurrents, parfois futiles, parfois profonds, ont pu être mis en lumière et être désamorcés. Les meneurs et les plus discrets ont repris une place plus harmonieuse.

C’est en travaillant l’écoute, la reformulation, l’expression des sentiments et des besoins que des bases efficaces de la négociation et de la médiation sont posées.

Dernière séance de formation…

La toute dernière séance est arrivée. Nous avons convenu de ne pas trop évoquer la tristesse et la nostalgie de cette dernière rencontre pour nous consacrer à notre objectif principal, la médiation. Les principes semblent simples quand on s’est entraîné à exprimer ses sentiments et ses besoins, quand on est convaincu qu’il existe une issue au conflit, quand on a envie de trouver une solution qui conviennent à tous. Tous les enfants ont donc compris comment il faut procéder, quelles étapes il faut suivre. Certains se sont aidés des cartes modèles et d’autres, véritables girafes médiatrices, ont mené le jeu avec naturel, légèreté et efficacité.

Toutes nos graines de médiateurs méritant leur diplôme de médiateur en herbe, une séance de clôture de formation et de remise de diplômes a été prévue. Tous les parents ont été conviés à la cérémonie durant laquelle un bref aperçu des activités menées et des objectifs du programme était également prévu. Ils ont tous déclaré qu’ils seraient présents ce jour-là! Trois cents personnes dans la salle des fêtes! Où allions-nous les mettre, quelles activités allions-nous proposer qui soient révélatrices de ce que nous avions vécu tout en impliquant tout le monde ? Après avoir laissé souffler un léger vent de panique, Nathalie et moi nous sommes rappelées que des petits et des grands miracles se sont produits à chaque séance, que l’enthousiasme et la joie ne peuvent qu’être porteurs de moments heureux.

Et cela a été le cas! C’était incroyable! Des échanges de signatures grâce au Bingo, pour briser la glace. « Les pingouins sur la banquise » et « Pêcheur, filet, sardines » pour se rapprocher des autres, se serrer, s’empiler. Je garde en mémoire ces petites filles et petits garçons, juchés fièrement sur les épaules de leurs parents qui éclatent de rire et visiblement s’amusent beaucoup.

« Miroir » a été, selon moi, le « magic moment », une synthèse idéale de tout ce que nous avons vécu et partagé durant deux ans. Trois cent personnes, en couples, chacun faisant face à l’autre et bougeant au rythme de la musique dans des mouvements identiques et harmonieux. Frère et sœur, grand-père et petit-fils, enfant et parent, copain et copine, élève et enseignant, les yeux dans les yeux, liés par un fil invisible, avec un sourire qui se dessine, s’élargit, puis le rire qui éclate.

Nous le savions déjà mais là, nous en avons la preuve : l’objectif était atteint, au-delà même de nos espérances, et ses effets ne s’éteindraient pas de si tôt.