Article rédigé par Julie ARTUS, Jean-François LECOCQ et Sonja LEONARD et initialement publié dans le trimestriel n°79 de l’Université de Paix, en 2002.

A tous les mâtons que nous n’avons pas trouvés

Depuis décembre 2001, nous avons eu l’opportunité de rencontrer trois groupes d’agents pénitentiaires qui se sont portés volontaires pour une formation continuée portant sur l’assertivité et la Communication Nonviolente. Rencontre surprenante par bien des égards.

Cette opportunité nous a été donnée par un appel d’offre publique lancé par l’Institut de Perfectionnement des Cadres Pénitentiaires de Marneffe (I.P.C.P.). Nous y avons répondu par un projet de formation en trois phases, les deux premières se déroulant en résidentiel.

La première, de trois jours, vise à aborder et à développer les aptitudes liées à la notion d’assertivité. La deuxième, d’une même durée, a pour objectif d’amorcer et de mettre en pratique le processus de Communication Nonviolente. Enfin, la dernière phase, d’un jour, permet d’évaluer la satisfaction des agents quant à la formation, et d’échanger sur la mise en pratique des différents outils « in situ ». Lors de cette même journée, dans un souci de professionnalisation du métier d’agent pénitentiaire, un parcours de formation de type Promotion Sociale leur est présenté par Monsieur Vincent Blanpain, directeur de l’I.P.C.P.

Si le projet a été accepté, nous ne pouvions cependant pas en rester là en terme de préparation. Le public et le cadre de travail tout à fait particulier des agents pénitentiaires nous étaient jusqu’alors inconnus. Comment animer une formation professionnelle de façon cohérente sans s’intéresser aux personnes, aux vécus, aux lieux, aux tâches qui constituent l’essentiel d’une journée de travail ?

Ainsi, en plus de certaines lectures proposées, comme «La formation des agents pénitentiaires, mission impossible ?» de Gérard De Coninck, nous avons décidé d’entrer dans le monde fermé des Établissements Pénitentiaires. Monde intéressant, s’il en est, pour l’Université de Paix. Grâce à la collaboration de Vincent Blanpain, nous avons pu accéder, pour quelques heures, aux Établissements de Lantin, Andenne, Namur et Marneffe.

Il est évident que ces quelques instants ne nous permettent pas de connaître le métier et l’environnement complexe des agents pénitentiaires, mais nous ont simplement donné de prendre contact avec différents acteurs du monde carcéral, de ressentir, et cela très rapidement, l’ambiance particulière des lieux. Comme un orage à venir…

Suite à ces visites, nous étions un peu mieux informés, mais l’image et les préjugés véhiculés par la société autour des agents pénitentiaires restaient peu flatteurs. Prêts à remettre ces derniers en question, nous sommes néanmoins arrivés avec beaucoup d’appréhension pour le premier module de formation. Et là, surprise…

Nous avons pu rencontrer des personnes venant de tous horizons, tant en terme d’établissements, que de parcours professionnels, de parcours de vie. La diversité, contrairement aux a priori, était de mise. Une fois les premières craintes vaincues, il nous a été possible de découvrir la richesse et les difficultés d’un tel métier.

Le métier d’agent pénitentiaire est bien un des seuls, parmi ceux qui induisent un contact proche et permanent avec des personnes, qui ne requière officiellement aucune formation, si ce n’est au niveau pratique et sécuritaire. Or, nous avons pu constater, par les nombreux témoignages des participants, que pour un travail de qualité, et quelquefois pour la simple survie, des compétences humaines, relationnelles sont indispensables.

Sans outil, sans repère, sans regard extérieur, chacun est ainsi amené à puiser, parfois jusqu’au fond du puit, des ressources personnelles, propres au parcours de chacun, qui permettent de gérer la vie, huit heures par jour, avec d’autres êtres humains détenus dans des conditions souvent difficiles, parfois extrêmes. Chacun doit faire avec ce qu’il possède, avec ce qu’il est, en un mot avec ce qu’il peut, y compris avec des règles et une philosophie de travail qui varient fortement d’un établissement à l’autre, d’une équipe à l’autre.

Nous avons aussi pu comprendre que le métier d’agent pénitentiaire est fortement individualisé. Il y a peu de possibilité d’actions collectives, et si la confiance, pour des raisons de sécurité, est indispensable, tant vis à vis de l’institution, de la hiérarchie, que des collègues directs, elle est loin d’être toujours présente.

L’agent a souvent pour tâche de temporiser les difficultés survenues entre les personnes détenues et l’équipe qui l’a précédé, l’administration, les autres services de l’institution,… Nous avons pu relever qu’aux différents niveaux le soutien était parfois absent, ceci occasionnant une perte de confiance en l’autre, mais aussi en soi. Dans des conditions de tension forte, cette perte de confiance est sans aucun doute une source de stress supplémentaire.

Sans un minimum de soutien, de confiance, comment accepter ses erreurs ? Comment ne pas réclamer un soutien absolu de la part des directions vis-à-vis des difficultés rencontrées avec les personnes détenues ? Comment accepter une loi qui donnera le droit à ces personnes de déposer plainte contre soi ? Ou, comment, dans un contexte tendu, fruit des conditions de détention actuelles, accepter de se mettre en danger, de travailler « sans filet » ?

Dès lors, pourquoi s’étonner de la force des syndicats, des mouvements de grève actuels, occasions de solidarité, de cohésion, d’action collective ?

L’agent pénitentiaire est aussi un des seuls représentants de la société extérieure accessible quotidiennement pour les personnes détenues. Qu’est-il chargé de représenter sinon une société qui se veut en sécurité, qui veut que les « criminels » en soient retirés, et paient longuement, durement, leurs actes, quels qu’en soient les moyens. Sinon une société qui se veut aussi en accord avec des valeurs humanistes, telles celles des droits de l’homme.

Cette représentativité des deux tendances se traduit dans la distinction faite entre agents sociaux et agents sécuritaires, mais aussi dans le désarroi de certains à ne plus savoir comment agir. L’un d’eux illustre ce désarroi par ces paroles : «Même si nous ne sommes pas armés, et pas curés, on nous demande de tenir le pistolet d’une main et la bible de l’autre.»

Dès lors, ne peut-on considérer la grève comme une action publique, un appel à l’attention des autorités, mais aussi de la société?

Appel à une société qui fait porter aux agents pénitentiaires toute l’incohérence de son discours. « Soyez les mauvais que nous n’osons pas être, mais ne nous demandez pas de vous soutenir, nous devons paraître respectueux d’autrui. Rendez-nous service en nous protégeant, mais ne nous demandez pas de vous remercier, nous devons pardonner. »

Appel, via une valeur fondamentale de notre système, à savoir la quantité, qu’elle soit en terme financier ou en terme d’effectifs, à une reconnaissance de la difficulté de leur métier, de l’énergie personnelle qu’ils donnent pour le bien-être de chacun.

Au-delà de valeurs quantitatives, la formation des agents pénitentiaires, indispensable pour la qualité et la sécurité de leur travail, peut aussi être un des éléments qui tendent à une certaine reconnaissance de leur métier en tant que profession nécessitant des qualités et des compétences particulières. Surtout au vu d’un public détenu de plus en plus jeune, certains établissements ont une moyenne d’âge de 22 ans, public qui sortira, dans le cas de longues peines, avant d’avoir quarante ans. Public que la société, pour sa sécurité, veut punir et rééduquer.

La formation des agents permet aussi de créer un espace de parole, d’échange de pratiques dont ils ont un réel besoin. Cet espace peut ainsi contribuer à réduire la sensation d’isolement précitée.

La formation des agents pénitentiaires, si elle peut contribuer à l’amélioration des conditions de travail, pourrait également avoir un effet sur les conditions de détention. Et ainsi enrayer certains effets pervers du processus institutionnel, tel l’affrontement souvent présent entre détenus et agents, bases de la hiérarchie.

N’oublions cependant pas que pendant qu’ils s’affrontent, ils n’ont pas le temps, et le recul nécessaire pour remettre cette même institution en question quant à leur malaise, leur mal être…

Il nous semble maintenant important de remettre un peu de couleur dans ce tableau sombre et de dire que si peu d’agents pénitentiaires font ce métier par vocation, et si les conditions de travail sont difficiles, nous avons cependant rencontré des personnes qui ont appris à aimer leur métier et, malgré les incohérences, à le faire du mieux possible, à le faire évoluer dans un sens plus humain sans en oublier pour autant l’aspect sécuritaire. Leur volonté à se former à la communication semble en être une preuve irrévocable.

Cette formation, et peut-être d’autres initiatives, comme la professionnalisation par une école de Promotion Sociale, seront envisagées l’année prochaine, si les budgets le permettent…