Outre l’Université de Paix, Dominique Pire a fondé trois autres associations : les Iles de Paix, l’Aide aux Personnes Déplacées et le Service d’Entraide Familiale. Chacune, dans son domaine, poursuit actuellement son œuvre pour la paix et la solidarité.

Cet article a été initialement publié dans le trimestriel n°98, en 2007.

Entretien avec Anne-Françoise Bastin, coordinatrice du service social de l’Aide aux Personnes Déplacées.

Si nous vous demandons de vous présenter brièvement ainsi que l’Aide aux Personnes Déplacées, que diriez-vous ?

Un petit retour aux sources pour se souvenir d’où l’on vient, d’abord. C’est en 1949 que le Père Pire crée l’Aide aux Personnes Déplacées pour aider les DP (Displaced Persons) qui fuient l’est de l’Europe. Il développe des parrainages (il y en aura 18 000), crée quatre homes pour réfugiés âgés et sept villages européens, précurseurs de ce qu’on appelle aujourd’hui des logements sociaux. Il rassemble  autour de lui les bonnes volontés de tous bords et mène, en fonction de l’actualité du moment, différentes actions en faveur de prisonniers et réfugiés politiques emprisonnés, torturés, exilés, privés de leurs droits…

En 1958, il reçoit le Prix Nobel de la Paix pour l’esprit qui anime son action en faveur des réfugiés. Une récompense qu’il considère comme une nouvelle responsabilité et qui lui sera souvent utile pour défendre le droit des personnes.

L’association a poursuivi dans la voie qu’il avait tracée. Elle continue – dans un contexte difficile – à aider les personnes qui se disent menacées à obtenir une protection des autorités, tout en ayant une attention bienveillante pour tous les migrants qui ont cru bon, pour une raison ou une autre, de devoir partir de chez eux.

Je me suis personnellement retrouvée à l’Aide aux Personnes Déplacées il y a une quinzaine d’années, au hasard d’un contrat de remplacement et j’y suis toujours. J’y mène un travail parfois émotionnellement éprouvant – au moment où j’écris ces lignes, ma collègue boucle les derniers détails du rapatriement d’une dame angolaise contrainte, après 5 ans passés en Belgique, de rentrer avec 7 enfants dans un pays où elle n’a même plus un toit – mais souvent valorisant. Nous sommes là pour donner un coup de pouce à des gens qui n’attendent que ça et qui, de surcroît, nous manifestent souvent de la reconnaissance. Beaucoup d’assistantes sociales aimeraient pouvoir en dire autant…

En quoi consistent les différentes actions développées aujourd’hui par l’Aide aux Personnes Déplacées ?…

Nous sommes le plus souvent interpellés par des personnes qui éprouvent quelques difficultés à se frayer un chemin ici. Les problèmes sont assez diversifiés : cela va de questions juridiques assez pointues (visa, procédures d’asile, régularisation, …) à des préoccupations relevant de la vie quotidienne. Au-delà des réponses au problème immédiat, nous essayons autant que faire se peut de donner aux usagers les clés qui leur permettront de se débrouiller au maximum par eux-mêmes. Nous avons plusieurs fers sur le feu :

  • Un service social généraliste, agréé par la Région Wallonne. Il offre une aide pour s’orienter dans le dédale de nos lois (la réglementation s’appliquant aux étrangers ne cesse de se complexifier), faire face aux multiples difficultés de la vie quotidienne et se tracer un avenir ;
  • Une présence dans deux centres fermés, histoire d’avoir un œil derrière ces murs où sont enfermés des gens à qui l’on reproche simplement de n’avoir pas de papiers (même si parfois des dossiers sont toujours en traitement à l’Office des Etrangers) ;
  • La tutelle d’une trentaine de mineurs non accompagnés. Les étrangers de moins de 18 ans dépourvus de titre de séjour qui arrivent sur notre territoire sans parent se voient depuis quelques années désigner un tuteur. Nous sommes depuis longtemps préoccupés par le constat que les autorités voient en eux le migrant avant de voir l’enfant ou l’adolescent en proie avec des problèmes qui ne sont pas de son âge. Nous avons donc engagé deux tutrices mi-temps qui se chargent de défendre au mieux les intérêts de ces jeunes dans leurs démarches administratives et juridiques tout en leur assurant un accompagnement psychosocial ;
  • L’accueil d’une quarantaine de demandeurs d’asile dans le cadre d’une convention signée avec le Ministère de l’intégration sociale. Nous les hébergeons dans notre maison d’accueil ou dans un logement que nous louons et leur proposons également un suivi ;
  • Des cours de français dispensés à environ 150 apprenants de toutes origines et de tous niveaux par des professeurs spécialisés dans l’apprentissage du français langue étrangère ;
  • Du travail social de groupe qui vise à  faciliter le « rééquilibrage identitaire » par lequel chaque migrant passe. Il s’agit pour nous d’ouvrir des horizons. Nous dispensons des informations collectives sur des thèmes sociaux : baux, permis de travail, procédure d’asile, …) et surtout, nous mettons chacun en situation de découvrir activement son nouvel environnement, sa culture, sa mentalité, son fonctionnement et ce, par des visites d’institutions, par la participation à des activités culturelles diverses, …Beaucoup de portes paraissent moins intimidantes quand on vous a aidé à les pousser une première fois.
  • Un programme, mené en partenariat avec le FOREm et des CPAS, d’aide à l’insertion professionnelle de personnes qualifiées dans leur pays d’origine mais bloquées ici pour diverses raisons : langage, méconnaissance voire peur du marché de travail, difficultés psychosociales, … Nous aidons les stagiaires à définir un projet réaliste (les diplômes obtenus au pays sont rarement « vendables » ici), à « parler emploi en français » et à se mettre en situation active de recherche d’emploi (rédaction de CV, simulation d’entretiens d’embauche, …)

Quelles sont les actions menées pour informer et sensibiliser le public belge aux enjeux et défis liés aux réalités des personnes qui fuient l’insécurité politique, les persécutions, les violences et les guerres… ?

La gestion de la pression migratoire est une préoccupation majeure de nos gouvernements occidentaux. Nous travaillons sur une problématique complexe qui ne nous semble abordée rationnellement ni par une majorité de « Monsieur tout le monde » (qui a une vision souvent tronquée du phénomène), ni par une classe politique qui, bien qu’elle sait n’avoir pas les moyens de juguler l’immigration, n’a pas le courage politique d’aborder la question autrement. Méconnaissance du phénomène et mauvaise foi provoquent les réactions de rejet à l’origine de bien des problèmes. Faire remonter l’information de terrain, témoigner des dérives auxquelles nous assistons, dénoncer, est dans ce contexte une priorité. Nous le faisons en notre nom, dans notre périodique (Action Réfugiés, disponible sur simple demande), sur notre site web et, lorsque l’occasion nous en est donnée, auprès de groupes, qu’il s’agisse d’étudiants, de citoyens ou de professionnels du social. Mais on est toujours plus fort quand on joint sa voix à celle des autres. Nous sommes donc membres de plusieurs coordinations d’associations qui tentent de promouvoir une approche plus rationnelle, plus juste et plus humaine de l’accueil des étrangers.

2008 sera l’année du cinquantième anniversaire de l’octroi du Prix Nobel de la Paix à Dominique Pire, fondateur de l’Université de Paix, des Iles de Paix, de l’Aide aux Personnes Déplacées et du Service d’Entraide Familiale. Ces 4 associations souhaitent fêter cet anniversaire ensemble. Qu’est-ce que ce partenariat collectif peut vous apporter ?

Nous travaillons avec des publics différents mais ne parlons-nous pas tous de la même chose : du « vivre bien », du vivre ensemble ? En 50 ans, le monde a terriblement changé. Les associations fondées par le Père Pire n’ont pas pu se contenter de fonctionner. Elles se sont renouvelées (très peu d’entre nous ont eu la chance de travailler avec le Père Pire), elles se sont redéfinies, ont innové. Dans ce monde en rapide mutation, avons-nous pu rester fidèles à « l’esprit qui animait son action » et qui lui a valu le Prix Nobel de la Paix ? On le disait novateur. Son héritage est-t-il pertinent pour aborder les problèmes du monde contemporain ?

Le mot de la fin pour vous, ce serait…

La fin de quoi ? En ce qui concerne l’aide aux personnes déplacées (sans majuscules), je crains qu’on en soit toujours au début, contrairement à ce que semblait penser le Père Pire d’ailleurs. Les déplacements de population que nous connaissons actuellement ne sont probablement qu’un échantillon de ce qui nous attend. Tant que les relations entre le nord et le sud ne seront pas plus équilibrées, tant que l’espoir de paix restera un leurre dans nombre de régions du monde, l’émigration s’intensifiera. Tiens, quand je disais que notre terrain était aussi celui de nos associations sœurs …