Une question de perception(s)

Il n’est pas toujours facile de comprendre l’autre et de se faire comprendre. Nous oublions parfois que l’autre n’est pas nous et que nous avons chacun notre façon de percevoir le monde qui nous entoure. Ces différentes manières que nous avons d’aborder les choses peuvent tantôt être une richesse et tantôt compliquer nos relations. Que pouvons-nous faire pour améliorer notre communication, trouver des zones d’accord possibles, afin de cultiver la richesse des points de vue sans nourrir un éternel désaccord ?

Par Frédéric Duponcheel

Une manière de trouver un terrain qui va nous mettre d’accord est de faire la distinction entre ce qui fait partie de mes pensées personnelles, de mes interprétations, et ce qui fait partie d’une réalité « objectivable », commune à tous.

Nos perceptions du réel se construisent sur le mode de l’économie

Partons d’un exemple. Si je vous demandais de choisir un arbre et de le décrire, pensez-vous que vous et moi aurions le même descriptif ?

Tout d’abord, à quel arbre pensez-vous spontanément ? Pour ma part, c’est un beau cerisier. Pensiez-vous au même arbre ?

De plus, nous avons chacun notre propre manière d’aborder cet arbre. Un menuisier y verra peut-être l’architecture particulière de son futur meuble. Un bucheron le nombre de stères que l’arbre pourra fournir, un arboriste y verra la variété, l’histoire et la spécificité… Un yogi ou un méditant essayera peut-être de décrire son ressenti de l’arbre.

Et vous que voyez-vous en regardant ce dernier ? L’ombre qu’il apporte ? Les fruits qu’il donne ? Sa beauté ? Sa taille ? Durant quelle saison ? Dans quel environnement ?

Dans une réalité comportant des milliers d’informations, il peut être complexe de se retrouver. Nous appréhendons le monde par nos 5 sens, mais aussi par ce qui se vit en nous, nos pensées, nos émotions, nos besoins… Notre cerveau va nous aider à nous y retrouver dans ce flux constant d’information. Pour ce faire, il va sélectionner les informations qui sont attachées à une réalité factuelle, et cette sélection sera à la base d’autres pensées.

Par exemple, si je pense que mon fils est hyperactif, de manière inconsciente, je vais garder en mémoire les moments où il n’a pas su se calmer. C’est comme si je formatais mon cerveau à ne sélectionner que des faits qui vont confirmer la pensée que j’ai mise en place.

Notre cerveau est obligé en quelque sorte de fonctionner sur le mode de l’économie. Il doit gérer une telle quantité d’informations qu’il est nécessaire pour lui de faire des raccourcis. Il fait des regroupements et des associations pour faciliter le traitement des informations et les décisions à prendre au quotidien.

Notre cerveau va simplifier la masse de données qu’il reçoit. Il va « naturellement » faire des raccourcis en colorant, en interprétant, en étiquetant, en rassemblant, en faisant des liens, pour que nous puissions nous y retrouver plus facilement. Cela se passe d’instant en instant au fil des informations reçues à tout moment de notre vie.

Pour sélectionner ces informations, notre cerveau va devoir utiliser des filtres. Ces derniers sont issus de la juxtaposition de nos évènements de vie et de notre vécu de ceux-ci. Une croyance est donc une pensée intime, « propre à moi », qui parle de ma vie, et qui va influencer ma manière de percevoir et d’entrer en relation avec le monde. À la vue du fait que nous avons tous des vies différentes, il n’est donc pas un hasard si nos perceptions divergent plus ou moins fort les unes des autres.

Ce phénomène peut parfois compliquer nos relations et en même temps, c’est ce qui offre une richesse infinie.

Pourquoi faire cette distinction ?

Avoir conscience de ce mécanisme cognitif permet de faire la nuance entre ce qui est là, factuel, commun, objectivable et ce qui fait partie du tri, de l’étiquetage, de notre manière de colorer, d’interpréter les évènements.

Nous pouvons dire qu’en communication, il y a ce qui est objectivable (la réalité extérieure, indépendamment de notre perception, sur laquelle nous pouvons nous mettre d’accord) et ce qui est de l’ordre du subjectif (tout ce qui relève de notre perception de cette réalité, même quand je crois qu’elle est « indiscutable »).

Muni de cette conscience, je vais pouvoir communiquer autrement. Pour prendre une métaphore, chacun d’entre nous vit « sur sa propre montagne ». Nous avons notre propre manière de regarder le monde qui nous entoure avec nos propres filtres de la réalité. Je suis « sur ma montagne », avec mes perceptions, mes émotions, mes besoins, et l’autre est sur la sienne. Dès le départ, je peux déposer le constat que l’autre n’est pas moi.

Lors de désaccords, je peux comprendre que l’autre m’exprime son point de vue, et dès lors distinguer ce qui fait partie de ses croyances et pensées et ce sur quoi se base son raisonnement. Cela peut permettre une meilleure compréhension de l’autre et de moi-même.

Si une personne nous dit : « je ne peux plus te faire confiance »

Derrière « je ne peux plus te faire confiance », au-delà de la charge émotionnelle que cela peut susciter chez vous, ce message est une interprétation de la part de votre interlocuteur. Il y a bien autre chose qui se cache derrière. Toute l’idée consiste à aller voir ce que la personne essaie de nous dire maladroitement, « sur sa montagne ». Derrière un jugement, il y a toujours des faits qui se cachent.

Nous pouvons interroger ce qui fonde le jugement de l’autre : « qu’est-ce qui te fait penser que tu ne peux plus me faire confiance ? », « pourquoi penses-tu cela » ?

Nous invitons ainsi notre interlocuteur à revenir dans les faits qui lui ont posé problème. Ceux-ci me donnent alors plus d’informations quant au jugement déposé. Nous alors donner un autre suivi à notre échange et une issue constructive est alors envisageable…

Le côté enfermant de nos jugements

L’ensemble de nos croyances constitue ce que nous sommes et est étroitement lié à notre perception du monde, nourrissant notre identité : « je suis… ». Forte de nos expériences antérieures une croyance pourra tantôt nous être utile (par exemple, si je pense qu’une situation est dangereuse et qu’elle contient effectivement un danger, je vais peut-être m’y préparer voire l’éviter) et tantôt limiter notre perception (par exemple, si mon anticipation du danger m’empêche d’agir, même s’il n’y a pas de risque).

Dans ce second cas, il peut être intéressant de tâcher de les « assouplir », de les nuancer… notamment en revenant aux « faits »…