Le magazine CCI mag publie un article « Comment gérer les conflits dans votre équipe? » proposé par l’Université de Paix. Nous y décrivons brièvement deux outils : la différence entre faits et jugements appliquée à une résolution de conflits en tant que tiers-intervenant et posons également la question de la responsabilité d’une situation conflictuelle (via les niveaux d’intelligibilité du social proposés par Ardoino).

En tant qu’asbl active dans la gestion de conflits, il nous parait important de sensibiliser sur la pertinence de ces ressources sur le terrain professionnel. Nous pensons en effet que les conflits au travail font partie du quotidien : nous le constatons chaque jour via les mises en situation et problématiques que les participants à nos formations choisissent de nous relayer (ainsi que via nos démarches d’intervision et de supervision collective).

Le monde professionnel en est bien conscient : tant vis-à-vis de la question du bien-être au travail que par rapport à celle de la productivité (que l’on sait liées), le chef d’équipe a désormais tout intérêt à entretenir ses compétences relationnelles… Ci-dessous, retrouvez l’article en version intégrale.

La gestion des conflits entre collaborateurs fait partie intégrante de la mission du dirigeant d’entreprise. Lorsqu’une situation conflictuelle survient, nombre de managers se sentent pourtant désarmés : comment désamorcer le conflit ? Comment prendre une décision qui soit juste ? Comment mettre chacun face à ses responsabilités ? Pour aider le dirigeant dans cette tâche, des techniques existent. Présentation de deux d’entre elles.

La distinction entre les faits et les interprétations

Prenons un cas simple : Marie, qui est membre de votre personnel, estime qu’elle est confrontée à « de la mauvaise volonté » de la part du service informatique. Celui-ci refuserait de lui fournir les informations nécessaires. Après avoir éventuellement pris un temps d’écoute pour apaiser les émotions, il convient ici de tâcher de distinguer les faits et les jugements : que signifie « de la mauvaise volonté » ? Marie est-elle vraiment confrontée à ce qu’elle considère comme un refus ? Le manager doit être capable de faire expliciter ce genre d’opinions à l’individu à qui il est confronté : « qu’entendez-vous par là ? » « mauvaise volonté, vous dites ? ». Tout ce qui est de l’ordre de l’abstrait et des généralités mérite d’être clarifié. Il faut que les événements rapportés soient les plus proches de ce qu’une caméra aurait pu enregistrer.

Afin de récolter les faits de la manière la plus exacte possible, l’opération doit être répétée avec l’autre collaborateur concerné (sachant qu’un même événement peut clairement être perçu différemment selon la personne).

Les faits sont alors clarifiés. Concrètement, il apparait que trois demandes ont été transmises au service informatique. Aucune d’entre elles n’a été traitée dans les délais, et dans un cas pas du tout. Lorsque Marie est allée s’en plaindre au service informatique, Jean lui a répondu qu’il n’a pas que cela à faire et qu’elle ferait mieux d’apprendre à saluer ses collègues avant de leur donner des leçons.

La différence entre les personnes et les contextes : la grille d’Ardoino

A ce stade de l’histoire, on pourrait émettre de nombreuses hypothèses : « Marie et Jean sont fâchés », « Jean fait preuve de mauvaise volonté », « Jean est surchargé de travail », « Marie est tendue et a besoin de repos », « Jean était de mauvaise humeur », etc. Il existe une tendance sociale écrasante à attribuer les causes d’un conflit aux personnes (psychologisme) ou à leur relation interpersonnelle. C’est un écueil très fréquent lorsqu’il est question de relations en entreprises. Une erreur dans ce cas de figure serait de ne pas aller voir plus loin et de donner un blâme à Jean ou de se limiter à accorder quelques congés à Marie pour qu’elle se calme.

Ardoino propose ce qu’il appelle des « niveaux d’intelligibilité du social » (voir l’article sur l’application de son modèle au conflit). Sa « grille » permet d’élargir le cadre lorsque l’on recherche à attribuer la responsabilité d’un conflit. Il distingue les niveaux suivants, du plus restreint au plus large : personnel (psychologie, valeurs, « caractère »), interpersonnel (deux personnes), groupal (une équipe de projet), organisationnel (un service, une entreprise), institutionnel (politique…), voire au-delà (sociétal, culture…).

Reprenons ces différents niveaux et appliquons-les au cas qui nous intéresse. En observant la situation au travers de cette grille, nous pouvons par exemple considérer que la coordination entre le service informatique et l’équipe de Marie n’a pas été clairement défi nie. Il se peut également que le canal de communication n’ait pas été adéquat. Quid par ailleurs des rôles attribués à chacun ? La question est alors éminemment organisationnelle, pas seulement interpersonnelle ou liée au caractère de l’un des intervenants. Dans une organisation, il est réducteur de ne considérer les conflits que sous un angle personnel ou psychologique.

Les exemples sont nombreux : Christine revient de congé maternité. A son retour, elle découvre que des ordinateurs ont été distribués aux dix personnes ayant le plus d’ancienneté. Elle fait partie de ces personnes, mais n’a pas obtenu d’ordinateur. Sa chef lui dit qu’elle n’a qu’à aller prendre celui de Martine, qui a moins d’ancienneté qu’elle. Depuis ce jour, Martine enrage contre Christine, alors qu’elles étaient amies. Le problème n’est pas interpersonnel : ce n’était pas à Christine d’aller faire respecter la règle organisationnelle auprès de sa collègue. La responsabilité revient à la dirigeante.

Deux outils simples sont donc à votre disposition pour dénouer ce genre de situations : la distinction entre les faits et les interprétations, ainsi que la différence entre les personnes et les contextes. Dans une organisation, il est réducteur de ne considérer les conflits que sous un angle personnel ou psychologique. Comment décrire la situation de la manière la plus factuelle possible ? Quelles solutions mettre en place, et à qui cela revient-il de le faire, dans le respect de chacun et en fonction des différents rôles et responsabilités ?

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