Pour bien gérer les conflits interpersonnels, il faut bien entendu être capable de faire évoluer la relation dans un sens positif. Mais le point de départ de notre relation aux autres est notre manière de regarder le monde. C’est notre perception de la réalité qui va déterminer l’évolution de cette relation. Ainsi, la bonne gestion du conflit passe par la prise de conscience que nous avons tous un point de vue particulier…

Un article sur la nécessité du décentrement et de la prise de conscience de nos croyances et perceptions dans la gestion de conflits, par François Bazier (initialement rédigé en 2003).

Un vieux conte, peut-être indien, nous raconte à peu près ceci :

Il était une fois un groupe d’aveugles qui se demandait à quoi pouvait bien ressembler un éléphant.

Ils avaient appris qu’un éléphant se trouvait attaché pas très loin de l’endroit où ils se tenaient. Pour avoir une idée de ce que pouvait être un éléphant, ils décidèrent chacun à leur tour de s’en approcher doucement, de le toucher et de le palper prudemment.

Le premier de ces aveugles s’avança jusqu’à l’éléphant et se cogna à une de ses énormes pattes qu’il saisit. De retour dans le groupe, il déclara, sûr de lui, qu’un éléphant ça ressemblait à une grosse colonne. Le deuxième aveugle s’approcha de l’animal et attrapa la queue de celui-ci. Il déclara à son groupe qu’un éléphant c’était flexible et rêche comme une corde. Le troisième aveugle prit en mains la trompe de l’éléphant pour revenir dire que, par sa flexibilité cela ressemblait à un gros serpent. Le quatrième aveugle heurta une des défenses de l’éléphant et rejoignit le groupe pour affirmer qu’un éléphant, c’était pointu et dur comme une lance, le cinquième aveugle, lui, empoigna une des oreilles du pachyderme et rapporta qu’un éléphant bougeait et ventilait comme un éventail. Le dernier aveugle, en avançant vers l’animal le percuta dans les flancs et revint vers le groupe pour proclamer qu’un éléphant c’était immense comme une falaise…

A quoi peut bien ressembler un éléphant ?

À la manière de ces aveugles chacun de nous a son point de vue sur les choses et sur la réalité qui l’entourent. On dira parfois que chacun a sa carte du monde, dans le sens que si le monde, l’univers, un continent ou un pays donné existe bel et bien, il existe également des centaines, des milliers de cartes routières, géologiques, fluviales, aériennes, administratives, climatiques, démographiques… aux échelles les plus diverses, représentant ce continent, ce pays, cet espace. De la même manière, chaque individu, mais aussi chaque groupe, possède une représentation, une carte du monde qui lui est propre : sa carte du monde.

Notre perception de la réalité est toujours partielle parce que nous sommes des êtres humains forcément limités. Elle est aussi sélective, parce que nous retenons ce qui a le plus de signification pour nous. Et c’est à partir de là que nous sommes forcément partiaux, partisans.

Notre perception est structurée et globale parce que nous percevons les choses qui nous sont données comme faisant partie d’un tout qui en donne le sens ; chaque objet et chaque personne sont perçus dans un environnement et dans un contexte qui nous fournissent des indices propres à les identifier. Ainsi, une dame qui circule en blouse blanche dans les couloirs d’un hôpital ne peut qu’être une infirmière, une kiné ou un médecin…

Notre perception se fabrique au fil de nos expériences, de notre éducation, de notre formation, de notre culture, de nos activités. Le point de vue de l’élève sur l’école est différent de celui de l’enseignant ou de celui des parents.

Mais on peut également dire que la perception est immédiate, car nous filtrons, organisons, modifions instantanément les données sensorielles qui parviennent à notre cerveau. Celui-ci fait le tri de ce qui est intéressant et utile en fonction de nos centres d’intérêts. Ainsi, si je suis préoccupé par le renouvellement de la photocopieuse de mon entreprise, je serai attiré par les photocopieuses que je rencontrerai dans l’avenir proche.

L’être humain a ceci de particulier qu’il ne supporte pas l’incertitude et que face à une situation ou une personne inconnues, il ressent le besoin de limiter cette incertitude en développant des comparaisons avec ce qu’il connaît ou qu’il a déjà vécu. Et, pour aller vite, il va attribuer à cette situation ou cette personne une note positive ou négative : ça me fait penser à tel événement ou telle personne qui était bon et agréable ou mauvais et désagréable. On dira que nous procédons par analogie en connotant positivement ou négativement. Cette opération de pensée binaire qui se fait très vite est un passage obligé et va être porteuse de conséquences pour la suite.

Fondamentalement, les conflits vont s’enraciner et se développer sur ces différences de perception. Accepter l’idée que j’ai un point de vue partisan ou au moins particulier sur telle question, tel problème, tel événement est le premier pas pour éviter de se laisser enfermer dans la relation conflictuelle.

Être capable de se mettre à la place de l’autre, d’être assez mobile que pour adopter son angle de vue, est le deuxième pas qui permettra de s’extraire du piège que peut constituer le conflit.

Car la perception est également projective : nous avons une tendance naturelle à attribuer aux autres nos propres sentiments et nos propres manières de penser. Ainsi si, moi, dans telle situation difficile, je reste calme, il est évident que l’autre doit également le rester.

Se mettre à la place de l’autre est une démarche raisonnablement facile, mais difficile à traduire dans un comportement sincère, serein, positif et acceptant, tellement notre manière de voir les choses fait partie de notre identité.

Soulignons enfin que notre perception, tronquée par définition, est façonnée et renforcée par le milieu social, le groupe, l’entreprise…

Apprendre à gérer positivement les conflits nous demandera de nous exercer concrètement à cette prise de recul pour évacuer ce postulat qui dit : « si, pour moi, c’est la vérité, l’autre se trompe et donc, c’est incontestablement de sa faute ».