Outre l’Université de Paix, Dominique Pire a fondé trois autres associations : les Iles de Paix, l’Aide aux Personnes Déplacées et le Service d’Entraide Familiale. Chacune, dans son domaine, poursuit actuellement son œuvre pour la paix et la solidarité

Entretien Françoise Milet, Directrice du Service d’Entraide Familiale

Propos recueillis par Christine Cuvelier et initialement parus dans le trimestriel de l’Université de Paix, en 2007.

Si nous vous demandons de vous présenter brièvement ainsi que le Service d’Entraide Familiale (SEF), que diriez-vous ?

Je n’ai pas connu le père Pire même si je connais la Fondation depuis bien longtemps : j’y venais comme jeune volontaire dans les années 70. Au SEF, on me connaissait et il y a plus de 25 ans maintenant, on m’a proposé de reprendre le service pour lui trouver une nouvelle orientation. Le SEF est la première asbl fondée par la père Pire en 1941 ; en 1990 quand je suis embauchée le panorama social est bien différent et le service peu adapté à la réalité de l’époque. Le père Pire, selon ses anciennes collaboratrices, avait à cœur d’ancrer son action dans la réalité belge tout en lui donnant un développement international. L’asbl existait, ses statuts permettaient une action sociale vaste et cela aurait été vraiment dommage d’abandonner cet outil en en décidant la dissolution. Tant pour moi que pour le conseil d’administration du SEF, l’évidence du problème logement s’imposait. Sans logement correct, la vie n’est pas envisageable. Le logement nous est apparu comme central dans les problèmes d’insertion sociale. C’est ainsi que, dès 1981, l’action du SEF s’est orientée vers l’hébergement de personnes en difficulté de logement, ce qu’on appelle les SDF.

En quoi consistent les différentes actions développées aujourd’hui par le SEF ? Et à quel(s) public(s) s’adressent-elles ?

Les actions qui ont été développées depuis 1981 concernent toutes le logement.

Le « 35 » rue du Marché -où le père Pire avait son bureau- est notre première maison où nous pouvons héberger 10 personnes. Nous avons acheté une deuxième maison rue des Augustins, le « 27 » où nous pouvons aussi héberger 10 personnes. Dans ces 2 maisons, nous assurons un hébergement en dépannage. Pour cette activité, nous sommes agréés par la Région wallonne comme maison d’accueil. Nos spécificités sont la mixité et la petite dimension des maisons. La mixité a été décidée dès 1981 afin de ne pas séparer des couples ou familles qui avaient la chance d’être encore ensemble malgré leurs gros problèmes. En réalité, nous accueillons des hommes et des femmes pour la plupart isolés et aussi, bien sûr, des couples et petites familles. La dimension des maisons s’est imposée par la réalité des choses : nous héritions du « 35 » qui est petite maison. Travailler avec un petit groupe d’hébergés permet un travail de proximité et de bien connaître chacun. Nous avons un travail basé sur la vie quotidienne un peu comme dans une grande famille recomposée.

Nous avons gardé le mot familial dans notre nom par choix. Le travail social et éducatif est typique d’une maison d’accueil :

  • une permanence sociale tous les jours ouvrables pour y recevoir les demandes, les traiter ou les réorienter ;
  • le service individuel des hébergés (dossier, comptes, problèmes relationnels, pourquoi être arrivé ici ? comment redémarrer…) ;
  • l’organisation de la vie quotidienne des maisons : les repas, l’entretien, les courses ;
  • la gestion du groupe et la vie communautaire ;
  • les collaborations interservices tels les CPAS, les services de la Jeunesse, la maison médicale… ;
  • l’organisation au départ : chercher un logement, rencontrer les propriétaires, les primes et aides possibles, trouver les meubles et structurer un suivi social après hébergement.

A côté de ces deux petites maisons dont le SEF est propriétaire, nous bénéficions grâce à la collaboration des amis de Notre-Dame de la Sarte (le père Pire était dominicain à la Sarte) d’un grand dépôt et de trois logements pour des familles. Eux sont propriétaires et nous en sommes les locataires pour un loyer « d’amis ». Les trois logements complètent bien nos possibilités d’hébergement. En maison d’accueil, le séjour est limité à 9 mois. Les familles ont parfois besoin de plus de temps pour (re)structurer sa vie. Dans ces petites maisons, elles peuvent rester 3 ans toujours, bien sûr, en bénéficiant du service social du SEF.

On pourrait se demander, et le dépôt ? Pourquoi ? A quoi sert-il ?

Nous abordons une autre facette de notre travail : les magasins de 2ième main.

Nous en avons trois :

  • au « 35 », les vêtements et tous les objets utilitaires (vaisselles, casseroles,…)
  • au « 27 » , la petite brocante
  • au dépôt : les meubles et l’électroménager.

Tout cela est bien utile pour les hébergés quand ils nous arrivent sans rien et surtout quand ils s’installent dans un logement. Ils sont donc les premiers bénéficiaires des magasins de 2ième main. Mais nous avons ouvert ces magasins à tous. C’est un service rendu à la population hutoise et qui nous aide aussi à boucler le budget.

En complément au magasin, nous avons mis sur pied un service transport et déménagements sociaux pour notre région.

Quels sont les difficultés que vous pouvez rencontrer au quotidien et quelles solutions proposez-vous ?

Par le biais du logement nous abordons les difficultés des gens à habiter notre société. Comment vivre avec des ressources si faibles ? Comment trouver un logement correct et pas trop cher ? Comment trouver un travail sans formation ? Comment vivre sans famille soutenante et amis fiables. Nous abordons là ce qu’on appelle l’exclusion sociale et qui chez nous n’est pas qu’un mot, c’est une réalité très quotidienne.

Nous sommes aussi confrontés à la perte de certaines valeurs dont l’autorité, les manques éducatifs, la généralisation des moyens de communication (gsm, ordinateur, internet,…) et le manque de relation entre les gens, la toxicomanie, la violence,…

Énumérer les difficultés et les manques prendraient trop de temps. Nous travaillons avec une problématique qui nous met dans l’urgence et avec des gens qui sont dans l’instant. Se mettre à l’écoute de ces personnes pour les aider à se mettre à une distance juste de leur situation est notre travail de tous les jours.

Comment, dès lors, ne pas être dans un stress permanent ?

Parfois, nous avons conscience d’être des agents intégrateurs à une société loin d’être parfaite. Intégrer, intégrer mais à quoi… Si on réfléchit trop dans ce sens, on a envie de lâcher prise, de baisser les bras. Mais si nous ne le faisons pas, c’est que nous rencontrons dans nos maisons des personnes qui subissent leur mise à l’écart, souffrent de n’être pas pris comme des citoyens de 2ième zone et seraient heureux d’avoir une « petite maison », « un petit travail », « une petite voiture » et « une petite famille ». Pour eux, cela n’est pas petit, c’est grand. Alors pour cela, on se bat et nous trouvons un sens à notre travail. Ce travail de terrain, très quotidien, atteint une dimension universelle quand nous mettons la personne humaine au cœur de notre travail.

Rencontrer les autres fondations D. Pire, c’est cela aussi essayer de toucher à l’universel sans jamais perdre le contact avec le particulier.

Et puis, si nous parlons de nos difficultés, il faut parler du financier. Les subventions venant de la Région wallonne ne couvrent que les salaires de l’équipe sociale (4 personnes ½). Et le fonctionnement ? Et l’entretien des bâtiments ? Bien sûr, les hébergés participent aux frais de leur hébergement mais… l’autofinancement est très nécessaire tout comme les activités de financement, le sponsoring et le recours aux bénévoles pour la recherche de fonds.

Le mot de la fin pour vous, ce serait…

Que penserait le père Pire de ce que, nous qui ne l’avons pas connu, avons fait de ce qu’il nous a laissé ? Sommes-nous fidèle à sa ligne ? Le monde a beaucoup changé en 50 ans, q’aurait-il fait s’il était toujours là ?

J’espère qu’il serait content de ce que nous avons fait du SEF et de son devenir dans le futur. Le SEF est petit en taille et local par son action. J’aimerais qu’il soit grand dans le geste et universel dans l’approche des gens.