La hiérarchisation des pairs, un mécanisme du harcèlement scolaire

La socialisation au sein du groupe de pairs est un élément central dans la vie des adolescents. Malheureusement, celle-ci s’accompagne parfois de certains comportements déviants : moqueries, exclusion ou encore harcèlement scolaire. L’intégration dans un groupe de pairs dépend parfois de petites choses : avoir des goûts et des comportements différents peut suffire à être mis sur le côté…

Par Noémie Godenir

La hiérarchisation dans les groupes de pairs, une classification pointue entre adolescents

Le mécanisme de hiérarchisation entre pairs est une violence symbolique fortement présente dans les écoles.

Effectivement, les élèves s’évaluent mutuellement selon des critères que les adolescents affectent eux-mêmes à leurs pairs. Ceux-ci peuvent se baser sur une différence de classes sociales, sur des critères économiques visibles (comme les vêtements, par exemple), sur la conformité aux diktats esthétiques, sur des dispositions intellectuelles ou encore sur certains comportements… Ces critères deviennent alors des codes normatifs. Ils conditionnent ainsi le regard des autres élèves ainsi que l’auto-évaluation.

Cette hiérarchisation s’appuie aussi sur l’audace des individus dans leurs interactions : « celles et ceux qui ne sont pas distingués par leurs condisciples plus populaires, plus sûrs d’eux, plus reconnus par leurs pairs, sont bannis, rejetés dans une invisibilité (…) et [ceci] constitue assurément une atteinte identitaire des plus cruelles » (Mercader, Léchenet, Durif-Varembont, al., 2016, P.98).

Les catégories auxquels les adolescents s’évaluent sont des normes auxquelles ils sont eux-mêmes sujets.

Contrôle social et pression à la conformité

Cette évaluation constante entre les élèves engendre un contrôle social, une pression à la conformité aux normes du groupe. Les adolescents ont tendance à normaliser le comportement de leurs pairs. Cela prend la forme d’un véritable rappel à l’ordre des uns sur les autres, à travers des remarques, insultes ou stigmates par exemple.

Au-delà des comportements et paroles blessantes ou dégradantes, le contrôle sur les autres se joue aussi au travers de comportements d’intimidation (regarder l’autre dans les yeux, laisser ou non le passage dans le couloir…). Tout cela contribue aussi à la hiérarchisation entre adolescents.

Dès lors, les comportements violents vont être des instruments de contrôle social. Dans la socialisation juvénile, « la violence du groupe (…) exerce une pression, soit pour rendre conforme, soit pour exclure (en faisant « la réputation » ou en « traitant » tel élève) » (Mercader, Léchenet, Durif-Varembont, al., 2016, P.188).

L’importance de la reconnaissance du groupe de pairs dans la construction identitaire

L’adolescent se construit avec en tête la reconnaissance du groupe de pairs. Ses comportements, mais aussi ses choix en matière de look sont observés et jugés par les autres et doivent répondre aux injonctions dictées par les pairs. Les choix personnels risquent en permanence d’être stigmatisés par les autres.

Certains adolescents vont jusqu’à s’acheter telle marque, arrêter telle activité… face au risque d’être jugés par leurs pairs (Barrère, 2011).

Entre conformisme et singularité

Si les adolescents se plient aux normes de leur groupe de pairs, on observe cependant que le simple conformisme, c’est-à-dire imiter les autres, ne va pas toujours arrêter la critique. Effectivement, les normes adolescentes sont en constante évolution. Ces normes varient d’un groupe de pairs à l’autre et changent en très peu de temps.

Dès lors, l’adolescent est contraint de se singulariser à côté de sa conformisation. Dans cette instabilité, l’école joue un rôle important : « L’école se donne alors une tâche émancipatoire : construire des individus au jugement libre, autonome, et donc potentiellement critique de comportements grégaires, ou d’enthousiasmes peu rationnels » (Barrère, 2011, P.125). Mais comme nous l’avons vu, les expériences singulières peuvent aussi amener à subir une mise à l’écart.

Face à cela, les adolescents sont confrontés à plusieurs choix : « changer de style pour ne plus être exclu, avec un résultat incertain, ou bien, garder le sien et rentrer en conflit ou être mis de côté » (Barrère, 2011, P.160). Avec la question de la singularité, l’adolescent va devoir en permanence converger entre se conformer aux normes de son groupe de pairs et trouver sa singularité. La construction de l’individu entre onze et quinze se fait donc dans une tension entre « désirs d’appartenance et d’affirmation personnelle » (Barrère, 2011, P.127).

Des adolescents conscients et dénonçant ce phénomène

Anne Barrère observe qu’« aucun adolescent ne nie l’importance du regard des pairs sur lui, et le fait que l’univers des sociabilités juvéniles est un univers extrêmement normatif, édictant des jugements permanents sur le style, les pratiques et les comportements des autres » (Barrère, 2013, P.67). Les adolescents s’observent, se jugent et se contrôlent. Chacun doit rester à sa place sous le regard à l’affût des autres jeunes.

Selon Anne Barrère (2011), les adolescents se disent conscients de leur conformisme. Certains vont jusqu’à avouer pratiquer l’une ou l’autre activité « parce qu’il faut en faire » (Barrère, 2011, P.126).

Les adolescents sont conscients et critiques face à ce phénomène de conformisme : « la pression du groupe est tout autant dénoncée que reconnue et assumée, surtout lorsqu’elle donne lieu à des relations aux potentialités conflictuelles permanentes, où on peut quotidiennement « traiter ou être traité » […] Pour autant, plusieurs nuances de taille viennent enrichir ou infléchir l’idée d’un conformisme de groupe, au sens où il serait une sorte d’esclavage consenti et serein pour les adolescents » (Barrère, 2013, P.68).

L’adolescent au sein d’une multitude de groupes plus ou moins hostiles

Si les adolescents sont conscients et critiques de ce mécanisme de hiérarchisation, qui sont les adolescents qui appuient ce mécanisme dans les relations entre pairs ?

La socialisation entre pairs se fait généralement entre plusieurs petits groupes. Les groupes vont fonctionner selon diverses modalités d’extension ou non. Les personnes les plus proches de l’adolescent, les liens forts, vont être moins oppressifs que les personnes plus éloignées d’eux, les liens faibles. Effectivement, « les collégiens décrivent une pression relativement anonyme, et éloignée d’eux-mêmes, dans des jeux de classements fortement contextualisés » (Barrère, 2011, P.127-128).

De plus, selon la sociologue Anne Barrère, l’idée du groupe unique ne représente pas bien la réalité plus complexe vécue par les adolescents. Effectivement, ceux-ci sont confrontés à des modalités de groupes différentes et ayant un niveau d’oppression plus ou moins important.

Ce sont les plus petits groupes d’amis, plus proches, qui protègent les adolescents des normes plus générales et plus oppressives. Ces plus petits groupes peuvent être nombreux pour l’adolescent, aussi bien à l’école que dans le quartier ou encore dans les activités extra-scolaires : « Chaque adolescent est au centre de plusieurs groupes, formant plus ou moins réseau, ce qui démultiplie les conflits normatifs possibles, les alliances, réunions et trahisons, mais aussi brouille et complexifie l’unité du conformisme adolescent » (Barrère, 2013, P.69).

Un climat scolaire menaçant : défi, provocation, affrontement, (auto)critique et rejet

Ces classifications entre élèves et la difficulté de trouver sa place ont des conséquences importantes dans la socialisation des adolescents. En effet, ceux-ci doivent assurer leur identité par le défi, la provocation et parfois l’affrontement. De plus la sociabilité juvénile est très conflictuelle dans ces processus de classement.

De surcroît, la critique est omniprésente. Elle représente d’ailleurs « aussi une manière d’anticiper les effets de ces classements, toujours immaîtrisables, sur soi ; elle construit aussi une auto-critique permanente. Les classements sont parfois carrément stigmatisants en eux-mêmes » (Barrère, 2011, P.159). Chacun est en permanence soumis à l’évaluation.

Dès lors, le climat dans les établissements scolaires est une source de menaces constantes. Il s’agit d’un « climat fait de bousculades-bagarres, de jeux-agressions, de plaisanteries-insultes, de toutes sortes de conduites plus ou moins ambiguës, parfois graves mais pas nécessairement, et qui organisent le fonctionnement groupal » (Mercader, Léchenet, Durif-Varembont, al., 2016, P.75). Ces bousculades, ce langage grossier, ces bagarres mimées, ces faux étranglements, servent « à maintenir cette tension qui peut aller jusqu’à une véritable frayeur » (Mercader, Léchenet, Durif-Varembont, al., 2016, P.78).

Comme nous l’avons vu également, les classements peuvent mener à de l’exclusion sociale. Cette « forme de bannissement extrême qui rend le sujet invisible est une sanction sociale particulièrement sévère qui peut conduire le sujet à « douter réellement de [sa] propre existence » (Ellison, 1952, p.19-20 in Mercader, Léchenet, Durif-Varembont, al., 2016, P.99).

Les élèves ayant une moindre classification vivent cela comme une véritable humiliation.

Le climat scolaire est globalement très instable pour les adolescents qui doivent protéger leur statut au sein de la hiérarchie. Ce statut détermine leur place dans le groupe de pairs, mais aussi leur sécurité, comme dans le cas où cela se transforme en violence voire en harcèlement scolaire. « Une grande partie de ce qu’il est convenu d’appeler violence scolaire désigne des modalités particulièrement conflictuelles de cette sociabilité juvénile. Les travaux sur le school bullying, terme anglo-saxon désignant des brimades spécifiques capables d’isoler un élève bouc émissaire (Olweus, 1993) ont montré qu’il était une réalité importante des phénomènes de groupe. Il a des effets dévastateurs sur le développement personnel, que les élèves réagissent à ce phénomène par une réponse violente, ce qui est souvent le cas, ou par des dépressions et de graves mises en cause d’eux-mêmes » (Barrère, 2013, P.68).

En somme, au-delà du travail sur les individus et leurs compétences relationnelles et individuelles, il parait important de réfléchir avec les adolescents sur ces mécanismes de groupe qui peuvent mener à des comportements violents et à un climat de vie oppressant.

Bibliographie

Barrère, A. (2011). L’éducation buissonnière: quand les adolescents se forment par eux-mêmes. Paris: Armand Colin.

Barrère, A. (2013). Ecole et adolescence: Une approche sociologique.

Durif-Varembont, J.-P., Mercader, P., Léchenet, A., & Garcia, M.-C. (2016). Mixité et violence ordinaire au collège et au lycée. Toulouse: Erès Editions.