Coups, brimades, moqueries… L’école est-elle devenue une jungle où les plus faibles sont systématiquement harcelés et brimés par quelques caïds ? Phénomène en hausse ou plus vite détecté ? Comment réagir pour réguler les relations des enfants entre eux ?
> Un dossier du journal « L’Appel » du mois de janvier 2015.
Face aux risques de violences en tout genre entre adolescents, dans le cadre scolaire mais aussi dans d’autres groupes, les formateurs à l’Université de Paix préconisent certaines mesures préventives.
« Idéalement, il faut créer un espace de parole qui permette de parler de ce qui est diffcile à vivre à l’école, explique Alexandre Castanheira, formateur spécialisé dans la problématique du harcèlement et membre de la Cellule ados de l’Université de Paix. Mais il faut aussi organiser des activités qui permettent aux jeunes de comprendre les règles du bien vivre ensemble et, surtout, d’apprivoiser les différences qui vont mener à la stigmatisation d’un individu : le style vestimentaire, l’apparence physique, les résultats scolaires […] »
Travaillant depuis longtemps sur le sujet, l’Université de Paix prône la mise en place d’espaces de parole permanents, le travail sur les compétences relationnelles et la résolution collective des conflits. Pour le formateur, il faut vraiment travailler sur les compétences sociales, émotionnelles et relationnelles des enfants et des jeunes. Un travail qui ne peut s’envisager qu’en groupe. « À l’école, on vit ensemble huit heures par jour, il est donc primordial d’agir sur le collectif, de manière régulière. Il faut mettre en place un cadre de confiance et de sécurité, fixer les règles et les limites […] »
L’existence d’espaces de parole réguliers et régulés n’étant pas – encore – généralisée, l’Université de Paix est aussi sollicitée pour conseiller et intervenir quand un cas de harcèlement survient dans une école. Ici aussi, l’approche est collective. « […] nous recommandons tout d’abord de croiser les infos », poursuit Alexandre Castanheira. Car dans le milieu scolaire, il y a en effet un saucissonnage des informations. « Les membres de l’équipe pédagogique n’ont chacun accès qu’à une partie de la réalité du jeune. Pris individuellement, des faits en apparence anodins peuvent s’avérer graves s’ils se répètent plusieurs fois par jour. Bien sûr, des signes peuvent indiquer qu’un jeune est victime de harcèlement (chute des résultats, absentéisme, comportement agressif…), mais si chaque professeur ne connaît qu’une facette des faits, il est difficile de poser un diagnostic […] »
Parmi les actions à mener, l’Université de Paix recommande donc de ne pas agir seul. « Si un éducateur est mis au courant d’une situation et tente de la régler lui-même, par exemple en sanctionnant le harceleur, il se peut très bien que les choses s’aggravent pour la victime (représailles du puni et de ses amis, peur de se confier à nouveau). Nous invitons donc le professeur titulaire, l’éducateur et la direction à commencer par évaluer la situation ensemble et voir s’il y a un problème. Un «vrai» cas de harcèlement requiert quatre critères: la fréquence, la gravité, l’étendue (quelques jeunes, la classe, les réseaux sociaux), les faits déjà connus.
Lorsque l’équipe a conscience du problème, il faut rapidement le régler. Tout d’abord en protégeant et en rassurant la victime et ses parents, puis en prenant éventuellement une sanction disciplinaire contre le ou les coupables. Alexandre Castanheira ajoute : « Mais il faut être attentif à ce que cette mesure soit éducative sinon, on donne le goût de la vengeance au harcelé et un sentiment d’injustice au cercle du harceleur. Car il s’agit de jeunes et ils n’ont pas toujours conscience de la souffrance qu’ils infligent. Il faut rappeler la règle, poser les limites et aussi faire prendre conscience de la gravité des faits en poussant le ‘bourreau’ à se mettre à la place de sa victime. La sanction éducative doit permettre de comprendre ce qui n’est pas ‘OK’ et de réparer. »
À ce travail à devoir mener avec les deux protagonistes – le harcelé et le harceleur –, Alexandre Castanheira ajoute une troisième composante : les témoins. « Ceux que Bruno Humbeeck appelle les ‘specta(c)teurs’, parce que même s’ils ne ‘font rien’, ils valident la norme dictée par le harceleur et permettent la situation »
Après avoir identifié tous les protagonistes, il faut travailler dans la perspective de rétablir du lien. « Tous les élèves ne doivent bien sûr pas devenir super copains, mais ils doivent parvenir à vivre ensemble de ‘manière OK’ pour tous ».
À cette méthodologie proposée (évaluation – diagnostic – travail collectif ), s’en ajoutent d’autres qui ont fait leurs preuves. Mais toutes présupposent des adultes formés au processus, avec des capacités d’écoute des émotions, de reformulation des faits sans jugements, etc. « Ces dernières années, il y a eu pas mal de sensibilisation et, au sein des centres PMS, le personnel est de mieux en mieux formé. Mais sans imposer que l’ensemble des professionnels d’un établissement scolaire soient outillés, il faudrait au minimum que les éducateurs et les titulaires le soient ».
Outre la formation et la sensibilisation des adultes, la clé reste l’éducation à la relation, à l’empathie dans le cadre scolaire. « C’est capital et cela doit se faire dès la maternelle», conclut Alexandre Castanheira.