Les douces violences envahissent aujourd’hui les relations humaines.

Que signifie ce terme aux apparences contradictoires ?

Qu’elles aient lieu dans les pratiques parentales, éducatives, professionnelles, dans les pratiques de soins, d’apprentissages ou d’encadrement… les douces violences s’expriment au travers d’un ensemble d’attitudes souvent banalisées.

Comment y remédier et repenser nos pratiques professionnelles, aujourd’hui ?

Un article de Patricia Zucco – Professionnelle de la petite enfance, Directrice de MCAE (crèche) à Chaumont, Formatrice à l’ISBW, Psychothérapeute à Béquet Médic à Namur.

Petits pas, biberons… et douces violences

Les douces violences touchent de nombreux secteurs où l’humain est au rendez-vous. Dans ce texte, je m’attache particulièrement au milieu de la petite enfance.

La vie en collectivité dès le plus jeune âge est une réalité quotidienne pour de nombreux enfants. Certains passent de nombreuses heures dans un milieu d’accueil où des professionnelles tentent de s’organiser au mieux pour leur proposer un accueil de qualité. L’enfant placé au centre, considéré comme une personne, son bien-être recherché, son autonomie favorisée, sa sécurité physique, affective… tant d’éléments à mettre au centre de nos réflexions en vue de les améliorer.

Les mots tels que bien-être, qualité et bienveillance prennent tout leur sens.

Cependant, voilà que depuis une dizaine d’années des nouveaux concepts apparaissent, enfin nommés, comme la non-bientraitance et surtout celui qui nous intéresse : « les douces violences ». Ces concepts invitent chaque adulte (professionnel, parent,…) à une remise en question dans la relation à l’enfant.

Essai de définition…

Les douces violences, ce n’est pas de la violence pure, ni de la maltraitance… Elles peuvent se situer entre dérives et négligences… Elles colorent des moments éphémères où la professionnelle n’est plus en lien avec l’enfant en tant que personne. De brefs moments où l’adulte se laisse emporter par un jugement, un a priori, un geste brusque… L’enfant n’est alors plus considéré comme un être unique, comme une personne dans sa globalité.

De très courte durée, ces moments sont fréquents tout au long d’une journée, ils passent presque inaperçus pour l’adulte. Cette manière d’agir n’est pas intentionnelle. Au contraire, les professionnelles sont persuadées que c’est pour le bien de l’enfant. Ces conduites font partie du quotidien, des habitudes… Ces moments se répètent, se glissent doucement dans nos pratiques.

Depuis plus de dix ans, Christine Schuhl parle du concept « douces violences ». Cet oxymore met en relation deux mots de sens opposés. Elle choisit le terme ‘douce’ pour atténuer le mot violence, l’enrober en quelque sorte, et ainsi faciliter la remise en question qui ouvre la porte aux changements. Le terme « violence », quant à lui, fait écho à certains comportements, gestes, paroles qui peuvent blesser l’enfant en portant atteinte à sa personne, en touchant à son estime de soi, à sa sécurité affective.

Repérer les douces violences au quotidien

Quelques moments-clés au cours d’une journée, les exemples ne sont pas exhaustifs :

L’accueil du matin et du soir

  • ne décrire que les moments négatifs de la journée
  • lui enlever immédiatement son doudou, ne pas laisser de la place à son émotion
  • critiquer son parent dès que celui-ci a quitté la pièce

Le repas

  • presser l’enfant pour qu’il termine son assiette
  • lui racler systématiquement la bouche avec la cuillère
  • « tu manges comme un cochon », « tu fais des caprices »

Les soins

  • « tu as encore fait caca, tu pues »
  • « tu es bien potelé »
  • déshabiller l’enfant sans le faire participer comme une poupée

Le sommeil

  • laisser le doudou dans le lit
  • ne pas laisser un enfant s’éveiller en douceur
  • faire dormir tous les enfants au même rythme

Les activités

  • proposer des activités inappropriées à l’enfant
  • ne pas respecter ses compétences et ses limites
  • critiquer son dessin

Tout au long de la journée

  • respecter le rythme du groupe et pas celui de l’enfant
  • discuter des dynamiques d’équipe, des horaires en section
  • ne pas prévenir les enfants des changements

Et pour l’enfant

L’enfant se construit au contact de l’adulte, en lien avec lui. Telle « une éponge sensorielle », l’enfant absorbe les émotions qui circulent au-dessus de sa tête. Pour qu’il se développe harmonieusement il a besoin d’être en confiance. Par conséquent, il a besoin d’être apprécié à sa juste valeur en tant que personne, en tant qu’être en devenir (comme disait Françoise Dolto).

Un enfant confiant, reconnu dans ses compétences propres peut faire l’expérience de son autonomie. A répétition, les exemples cités ci-dessus s’inscrivent dans le patrimoine affectif de l’enfant. Chaque professionnelle actrice dans cette relation à l’enfant est invitée à réfléchir à ses pratiques professionnelles et à reconnaître ses limites et ses compétences. Sans quoi, elle risque de faire violence.

Ce terme peut choquer et déranger. Pourtant, c’est bien une violence que de ne pas reconnaître l’enfant avec ses compétences et ses limites, c’est bien une violence que de le mettre en situation d’échec, de le laisser aux prises avec l’insécurité…

Les différentes causes

Les causes sont multiples et se juxtaposent aisément. Elles peuvent prendre source tant dans l’institution, que dans le projet d’accueil et dans l’équipe; se nourrir dans les personnes que sont la professionnelle, l’enfant et encore le parent. Le champ d’investigation est large. Nous pourrions également élargir notre réflexion en ouvrant l’axe de l’inconscient collectif, des valeurs sociétales, culturelles…

Comment essayer d’y remédier

La recette miracle n’existe pas. Chaque professionnelle, chaque équipe, chaque institution progresse à son rythme. L’observation facilite le repérage des douces violences qui se glissent au sein de nos pratiques quotidiennes. C’est un outil qui peut favoriser la compréhension des circonstances propices au dérapage. Les prises de conscience individuelles et collectives permettent une remise en question et un remixage des pratiques qui seront alors adaptées au mieux à un accueil de qualité pour l’enfant.

Se mettre à la place de l’enfant, vibrer de ses émotions, de ses ressentis, mettre en alerte tous nos sens tel un enfant… tant de moyens qui nous permettent de comprendre où et comment l’enfant est touché.

Donner sens à nos pratiques nous invite à faire des petits pas, à progresser dans le respect de l’enfant en tant que personne en devenir.

En conclusion

Osons parler des douces violences. Osons porter notre regard autrement. Osons remettre en question nos pratiques. Osons penser à l’enfant en tant que personne en devenir. Osons le respect. C’est là une importante démarche professionnelle de prévention. C’est aussi ouvrir la porte à la créativité…