> Un article publié dans la revue de la COJ, en lien avec notre thématique des relations sur les réseaux sociaux en ligne

Aimez, indignez-vous, partagez, réagissez…: on n’image pas toujours le nombre d’injonctions à « réagir » de manière impulsive à une nouvelle.

Le « J’aime » sur Facebook vous semble probablement anodin. Pourtant, le réseau social vous incite à réagir et à exprimer un état émotionnel. Twitter lui a emboîté le pas l’an dernier en modifiant son étoile signifiant « ajouter aux favoris » en un cœur beaucoup moins équivoque : « j’aime ».

Facebook vous invite également à poster des statuts : « exprimez-vous », tandis que Twitter demande « Quoi de neuf ? ». Facebook vous invite par ailleurs à signifier comment vous vous sentez lorsque vous publiez une nouvelle, notamment à l’aide de smileys. Le tout se perd dans ces « fils d’actualités » où un « événement » en chasse un autre, et où les réactions des uns sont noyées dans celles des autres.

Tous ces paramètres anodins en apparence nous conditionnent à réagir dans l’immédiateté, sur le mode émotionnel. En un clic, en une phrase, en un smiley, frénétiquement. Pour les réseaux sociaux en ligne, il y a des raisons financières à cela, dans la mesure où il est relativement connu que l’acte d’achat (et dans une moindre mesure, le fait de manifester de l’intérêt pour un produit commercial ou une marque) est quelque chose d’avant tout pulsionnel. En nous mettant dans une posture de « réactivité pulsionnelle », un des objectifs est de nous rendre plus perméables à la publicité.

Sur la fibre émotionnelle

Néanmoins, cette tendance n’est pas neuve ou encore propre aux médias sociaux. Ainsi, un certain nombre de médias d’information jouent sur la fibre émotionnelle, voire optent pour la carte du sensationnalisme.

Sur les plateaux télés, les hommes et les femmes (surtout les hommes) politiques se relaient pour s’indigner les uns des autres : « cette posture est intolérable », « ce que vous dites est choquant, immoral ! »… Dans des émissions comme Des paroles et des actes ou encore On n’est pas couchés, les chroniqueurs ou les invités se livrent à des joutes verbales teintées d’une rhétorique minimaliste, cristallisant les positions des uns et des autres. La faute également aux formats, peu propices à des grands développements. Le public applaudit ou hue. Il « réagit » sur les réseaux sociaux. Il aime ou il déteste.

Pour prendre une dernière illustration, ce n’est pas pour rien qu’en 2010, Indignez-vous !  de Stéphane Hessel a pu prétendre au titre de « best-seller » parmi les essais.

En soi, susciter une réaction émotionnelle n’est pas critiquable. Par contre, le fait de privilégier cette posture n’est peut-être pas un acte désintéressé : lorsque les individus se sentent concernés, touchés, ils passent à la caisse. De plus, et surtout, l’engagement par l’émotionnel peut être risqué, voire dangereux, lorsqu’il ne laisse aucune place à la réflexion et à la raison.

« Pleurer un petit noyé, haïr des violeurs en bande, s’offusquer d’un dessin choquant… Toujours s’émouvoir, ça dispense de penser », caricature Xavier Gorge. L’émotion est normale, naturelle, et l’exprimer est quelque chose de sain. Ceci peut s’avérer dommageable lorsque l’on n’en reste qu’à l’émotion brute, immédiate. A un moment donné, pour agir, il est aussi possible de se poser, d’analyser ou encore d’échanger des idées et de construire.

On ne peut pas faire l’économie de cette dimension émotionnelle. Elle est inhérente à l’action humaine. L’émotion fait d’ailleurs partie des choses à expliquer et à comprendre. Il serait contreproductif de refuser l’émotion au profit de la raison, de les opposer. Au contraire, si l’on néglige l’émotion et que l’on ne peut se mettre en empathie avec ceux qui souffrent, sont choqués ou indignés, alors non seulement nous ne pourrons pas « nous connecter » pour discuter et construire ensemble, mais en plus, nous manquerons de ce qui représente un gros moteur d’engagement.