« L’estime de soi », par Germain DUCLOS (Canada), auteur de l’ouvrage L’estime de soi, un passeport pour la vie pour connaître les composantes de l’estime de soi et les multiples façons de favoriser son développement chez l’enfant.

Ce texte est extrait de cet ouvrage, publié dans Le Magazine Enfants Québec, avril 2000 et dans le trimestriel n°85 de l’Université de Paix, en 2003. Germain Duclos a été invité à l’Université de Paix en 2004, dans le cadre d’une conférence.

Selon Robert W. Reasoner, l’estime de soi est « la conscience de la valeur personnelle qu’on se reconnaît dans différents domaines. C’est un ensemble d’attitudes et de croyances qui nous permettent de faire face au monde »

L’estime de soi

L’estime de soi est subordonnée à la qualité des relations qu’un enfant tisse avec les personnes qui sont importantes pour lui et qu’on dit « significatives ». Ainsi, les propos favorables tenus par un adulte significatif contribuent grandement à l’existence d’une bonne estime de soi chez un enfant. A l’inverse, des propos ou des jugements négatifs peuvent détruire l’image de cet enfant a de lui-même. L’attachement, on le voit bien, est une arme à double tranchant.

Le fait que l’adulte ait ou  non de l’importance aux yeux de l’enfant détermine la résonance et les répercussions qu’aura sur lui un jugement positif ou un commentaire désobligeant de cet adulte. La qualité des échanges relationnels influence beaucoup l’estime de soi. L’estime de soi, c’est cette petite flamme qui fait briller le regard lorsqu’on est fier de soi. Mais cette flamme peut facilement vaciller et même s’éteindre si elle est exposée au vent mauvais des sarcasmes et des critiques !

Il ne suffit pas qu’un enfant connaisse de petites réussites pour qu’il acquière, comme par magie, une bonne estime de soi. Il faut plus pour se percevoir de façon positive et durable. C’est là que l’adulte entre en jeu. Il a comme tâche de souligner les gestes positifs ou les succès de l’enfant et de faire en sorte qu’il en conserve le souvenir. En l’absence de rétroactions positives, l’enfant ne peut pas prendre conscience de ses réussites ni les enregistrer dans sa mémoire. Ce souvenir des réussites doit être ravivé régulièrement si l’on veut qu’il reste au niveau de la conscience. L’estime de soi, en effet, fonctionne par la mémoire et grâce à elle.

Toute nouvelle connaissance ou tout nouvel apprentissage d’une habileté disparaît de la mémoire s’il n’est pas réinvesti régulièrement. Il appartient à l’adulte d’amener souvent l’enfant à évoquer le souvenir des gestes positifs qu’il a faits et des petites réussites qu’il a connues. De cette façon, gestes et réussites restent imprégnés dans la conscience. L’évocation de ces souvenirs positifs peut se faire de multiples façons, par la parole, par des écrits, par des dessins, par des photos, etc.

L’estime de soi est faite de quatre composantes : le sentiment de confiance, la connaissance de soi, le sentiment d’appartenance à un groupe et le sentiment de compétence. Le sentiment de confiance est un préalable à l’estime de soi. En effet, il faut d’abord le ressentir et le vivre afin d’être disponible pour réaliser des apprentissages qui vont nourrir l’estime de soi. Il en va autrement des trois autres composantes. On peut stimuler la connaissance de soi, le sentiment d’appartenance et le sentiment de compétence à chaque stade du développement, à chaque période de la vie, par des attitudes éducatives adéquates et des moyens concrets. Il faut donc accorder une importance toute spéciale à la sécurité et à la confiance.

Le développement de l’estime de soi

Nous pouvons maintenant voir de façon plus précise comment se bâtit l’estime de soi. Elle dépend, en premier lieu, des rétroactions positives exprimées par les personnes qui ont de l’importance aux yeux de l’enfant. Ces personnes, en soulignant ses réussites, confirment l’enfant dans sa valeur. La source de l’estime de soi est donc extérieure à l’enfant, ou extrinsèque. Avec le temps, en recevant régulièrement des rétroactions positives, l’enfant intériorise une bonne estime de lui-même qui sera nourrie de façon intrinsèque par son monologue intérieur, c’est-à-dire une conversation qu’il entretient avec lui-même et dont le contenu est positif ou négatif.

Pour évaluer la qualité de sa propre estime de soi, il faut prendre conscience des jugements qu’on porte sur soi-même dans ses monologues intérieurs. Si un jugement est positif, on nourrit soi-même sa propre estime de soi. Quand une épreuve survient ou quand on subit un échec, notre estime de soi peut être ébranlée jusqu’à ce qu’un monologue intérieur positif la ravive et la nourrisse.

Des auteurs déterminent trois composantes qui permettent d’évaluer la qualité de l’estime de soi chez une personne :

  • Le regard qu’elle porte sur elle-même (son « être ») et sur son agir (son « paraître »). Donc, se voir.
  • Le dialogue intérieur qu’elle entretient sur elle-même touchant son être et sa performance. Donc, s’entendre.
  • Les sentiments qu’elle vit par rapport à elle-même et aux fruits de son action. Donc, s’aimer.

On ne peut prétendre amener un enfant à une auto-évaluation aussi systématique de la qualité de son estime de soi. Par contre, les adultes significatifs pour un enfant peuvent l’accompagner et l’aider, à compter de l’âge de 7 ou 8 ans, à mieux se voir, c’est-à-dire à avoir une perception plus critique ou objective de lui-même, à être en contact avec son monologue intérieur. Ce monologue consiste pour l’enfant à entendre les jugements intérieurs qu’il porte sur lui-même et sur son rendement afin d’apprécier davantage sa valeur intrinsèque.

Avant l’âge de 7 ou 8 ans, on ne peut parler d’une véritable estime de soi chez l’enfant. En effet, les capacités intellectuelles de l’enfant d’âge préscolaire ne sont pas assez développées pour qu’il puisse jeter un regard critique sur lui-même et accéder à un véritable monologue intérieur. Le jeune enfant de 3 à 6 ans a encore une perception magique et naïve de lui-même ; il ne peut critiquer rétrospectivement ses actions passées sur le plan séquentiel, causal et logique.

La pensée du tout-petit est trop égocentrique pour qu’il puisse avoir une bonne conscience de lui-même. Toutefois, l’enfant de cet âge a déjà une vision de lui-même qui est liée à un passé très récent. Le concept de soi chez l’enfant d’âge préscolaire est limité à l’activité qu’il vient de vivre ; il est circonscrit dans un temps récent ainsi que dans un espace précis. Ce concept prépare l’avènement de l’estime de soi.

Vers 7 ou 8 ans, avec l’apparition de la pensée logique, l’enfant devient capable de récupérer les images de soi positives qui proviennent de ses expériences passées et de les intégrer afin de constituer son estime de soi. D’où l’importance d’avoir envers les tout-petits les attitudes qui prépareront l’apparition, vers 7 ou 8 ans, d’une bonne estime de soi. A partir de cet âge, grâce à l’avènement d’une pensée critique face à lui-même, l’enfant est très influencé par ses propres évaluations (exprimées verbalement ou dans son monologue intérieur) sur ses compétences dans des domaines jugés importants par les personnes significatives à ses yeux. L’enfant peut maintenant faire une évaluation globale de sa valeur personnelle et il peut aussi estimer sa valeur dans chacun des domaines de sa vie, selon ses critères personnels ou selon ceux des personnes qu’il juge importantes. Ainsi l’enfant commence à évaluer sa propre valeur et il est capable d’exprimer son estime de lui-même à d’autres personnes par ses actes, ses paroles et ses attitudes.

De l’échec et de l’erreur

L’estime de soi se nourrit des succès qu’une personne reconnaît au cours de ses activités. Nul ne peut s’actualiser ni se développer en accumulant des échecs. Toutefois, il importe pour la personne de tirer de chaque échec une leçon ou un enseignement afin de se rassurer quelque peu sur sa valeur personnelle. Mais le souvenir de l’échec restera presque toujours présent.

En ce qui concerne l’erreur, on peut dire qu’elle est source d’actualisation et de développement personnel. Elle permet un ajustement ou une modification de la pensée et des actions dans la poursuite d’un objectif. L’erreur, somme toute, est au service de l’adaptation. Aussi ne faut-il pas la confondre avec l’échec. L’erreur fait partie du processus normal de l’apprentissage tandis que l’échec est un résultat négatif qui consiste en la non-atteinte d’un objectif d’apprentissage.

Pour vivre des succès

L’atteinte d’un objectif d’apprentissage est toujours valorisant et sert à bâtir l’estime de soi. La perception du succès varie toutefois d’un individu à l’autre. Elle est, pour une bonne part subjective, en ce sens qu’elle est tributaire des attentes, des ambitions, des valeurs et du degré de perfectionnisme de chacun.

Deux catégories d’individus éprouvent davantage de difficulté à nourrir une bonne estime d’eux-mêmes. La première regroupe les enfants, les adolescents et les adultes qui connaissent régulièrement des échecs et qui sont fréquemment insatisfaits d’eux-mêmes. L’autre catégorie est celle des personnes trop ambitieuses et perfectionnistes qui atteignent des objectifs dont elles sous-évaluent l’importance ; leurs ambitions sont très élevées et elles ne peuvent jamais les réaliser. Les perfectionnistes, en particulier, n’acceptent aucune erreur et tout ce qu’ils entreprennent doit être parfait. Ces personnes trop exigeantes profitent rarement de leurs succès et éprouvent souvent un sentiment d’insatisfaction face à elles-mêmes.

Toute personne parvient à une haute estime d’elle-même quand elle atteint des succès qui sont égaux ou supérieurs à ses ambitions. Elle en retire une fierté personnelle ainsi que des sentiments d’efficacité et de compétence qui augmentent son estime d’elle-même. Pour qu’un enfant puisse vivre du succès, il est très important qu’on lui propose des objectifs réalistes tout en ayant la certitude qu’il est capable de les atteindre. Ces objectifs réalistes deviennent des facteurs de protection de l’estime de soi.

Il a été largement démontré que l’estime de soi est à la base de la motivation. En ce sens, un enfant ne peut espérer atteindre un objectif ni obtenir du succès s’il n’a pas la conscience de sa valeur personnelle. Autrement dit, l’enfant, pour connaître du succès, doit s’appuyer sur le souvenir de ses succès passés ; c’est la condition pour qu’il soit capable d’anticiper avec réalisme la possibilité de vivre un autre succès. Mais le souvenir de ses succès ne lui vient que si l’adulte les lui a soulignés au fur et à mesure ; l’adulte doit également avoir pris soin de réactiver fréquemment ce souvenir tout en proposant de nouveaux défis ou de nouveaux apprentissages. L’enfant puise dans cette mémoire l’énergie et l’espérance nécessaires pour persévérer dans ses efforts. En vivant des succès, il acquiert une fierté personnelle qui alimente son estime de soi. C’est le cycle dynamique de l’apprentissage dont l’estime de soi constitue l’assise essentielle.