Manon Lecocq est enseignante. Elle a suivi un module en gestion de conflits. Elle nous témoigne d’outils qu’elle réutilise dans sa classe, en première primaire.

Ce module « Gestion de conflits » m’a fait prendre conscience et découvrir certaines pratiques informelles.

 

Des outils de communication, d’écoute et d’accueil des émotions

Le cercle de la frustration 

Le modèle théorique du « cercle de la frustration » montre que l’on peut créer du changement de plusieurs manières pour prévenir ou stopper la violence ou les transgressions.

Un besoin peut être assouvi ou entendu sinon il engendre une émotion (de la colère) qui peut être exprimée, écoutée sinon elle engendre de l’hostilité par la posture, l’attitude qui peut être stoppée par un rappel de la règle et de la sanction ou qui peut aboutir à un acte de violence qui doit alors générer une sanction réparatrice sous peine d’alimenter encore la frustration.

Avec de la communication et de l’écoute, on peut agir sur les besoins et les émotions. Avec des règles et des sanctions, on peut agir sur l’hostilité et les violences.

Avec un élève plus « difficile », j’ai utilisé le cercle de la frustration afin d’agir à plusieurs moments sur ses besoins, émotions et comportements. Cela a fonctionné à plusieurs reprises. La communication lui a permis d’évacuer certaines émotions et d’exprimer des besoins afin de les mettre de côté pour pouvoir penser à autre chose.

Après chaque conflit avec les autres enfants ou avec moi, il y a une discussion et une réflexion sur ce qui s’est passé.

D’abord, après chaque transgression, l’enfant restait avec moi en classe. Je le laissais toujours se calmer au début. Après quelques minutes, je lui demandais de m’expliquer la raison de son comportement. J’essayais alors de lui poser des questions pour lui faire dire ce qu’il s’était passé.

Ensuite, je lui expliquais en quoi il n’avait respecté la règle et je lui rappelais la sanction.

Enfin, nous discutions ensemble sur une réparation possible. Dans certains cas, la réparation pouvait être la sanction. Lorsqu’il se moquait d’un autre, le fait de devoir aller demander pardon à l’enfant, de réaliser un dessin pour s’excuser était déjà une avancée. Dans ce cas, ce n’est parfois pas nécessaire d’ajouter une sanction inconfortable en plus.

« Atterrissage »

La prise en compte des besoins des enfants a été abordée dans le module, justement en lien avec le cercle de la frustration. Cela passe par une attention à des petits moments comme par exemple quand un enfant arrive en retard. Je laisse désormais le temps aux enfants qui sont en retard de s’installer, je ne les « plonge » pas dans l’apprentissage directement. J’avais l’habitude lorsqu’un enfant arrivait plus tard d’aller près de lui et de lui expliquer tout de suite ce qu’on était en train de faire. Maintenant, lorsqu’un enfant est en retard, je lui laisse le temps de sortir ses affaires, de préparer son crayon et sa gomme et, lorsqu’il est prêt, j’arrête l’activité que l’on est en train de faire et je demande aux autres enfants d’expliquer ce qu’on est en train de réaliser.

Cela permet aux enfants de se préparer à apprendre, de se poser calmement et de « se connecter » à l’activité qui est en train d’être vécue et cela permet aux enfants qui n’étaient pas en retard d’expliquer ce qu’ils sont en train d’apprendre pour vérifier leur compréhension.

Un jour, j’ai vu qu’un enfant n’était pas dans de bonnes dispositions pour être réceptif aux apprentissages. Je lui ai alors proposé de ne pas faire l’activité qu’on était en train de faire et de se coucher sur son banc quelques minutes. Il a accepté sans déranger le groupe et il était bien prêt pour l’activité suivante.

Le « poisson froid » pour répondre aux provocations

Durant le module, nous avons distingué deux types de violence :

  • La violence « chaude » : une émotion peut amener un acte de violence. Dans ce cas, une discussion, une situation d’écoute (et éventuellement une sanction) pourraient résoudre le problème.
  • La violence « froide » fait référence à un comportement de domination pour avoir le contrôle de la situation (par exemple, par des provocations). Lorsque l’on est confronté à une violence froide, il est conseillé de ne pas réagir directement (par exemple, compter 5 secondes dans sa tête « 5 crocodiles ») et de faire le « poisson froid ». Face à de tels comportements, la technique du « poisson froid » consiste à montrer que la situation ne nous atteint pas, que nous avons confiance en nous, que nous sommes conscients de notre valeur afin d’empêcher l’autre de prendre le pouvoir. Le « poisson froid » peut déstabiliser l’enfant en lui montrant que ses provocations n’ont aucun impact sur nous.

La technique du « poisson froid » fonctionne très bien. Le fait d’attendre quelques secondes avant de répondre déstabilise complètement notre interlocuteur lorsque celui-ci essaie de prendre un ascendant sur nous (par des provocations, par exemple), et cela nous permet de gagner en assurance. Montrer que ce qu’on entend n’a pas d’impact sur nous fait perdre de l’influence à notre interlocuteur. Après un certain temps, l’enfant a moins envie de provoquer puisqu’il a compris que ça n’aurait pas d’impact sur nous.

La météo pour exprimer ses émotions

Cette activité consiste à « prendre la température » du groupe, à exprimer son humeur, ses sentiments directement ou à l’aide du vocabulaire de la météo. Je l’utilise tous les matins dans ma classe, les enfants doivent lever ou baisser le pouce et dire comment ils se sentent. J’ai dû ajouter le geste à la parole parce que certains enfants étaient trop réservés pour parler devant les autres.

Au début, certains enfants ne s’exprimaient pas parce qu’ils étaient gênés de prendre la parole devant le groupe. J’ai alors proposé à ces enfants-là de lever ou de baisser le pouce selon leur humeur et de ne pas parler. Après plusieurs jours, je leur ai dit qu’ils avaient le droit de ne rien dire mais qu’ils pouvaient aussi essayer de dire un mot quand ils seraient prêts.

Puis, petit à petit, tous sont parvenus à dire un petit mot sur leur humeur du jour. Les enfants adorent ça et cela permet également de désamorcer un besoin, une émotion pouvant amener un éventuel comportement « violent ». Effectivement, une émotion qui est exprimée permet déjà à l’enfant de se décharger de cette émotion et d’essayer de se concentrer sur autre chose. Cela permet aussi à l’enseignant d’être plus attentif à tel enfant en fonction de ce qui aura été dit lors de la « météo ».

Cette activité renforce le sentiment d’appartenance au groupe et la confiance en soi. Pour certains enfants, c’est un réel défi de s’exprimer sur leurs émotions devant le groupe. Sans forcer les enfants, au fur et à mesure, ils prennent de l’assurance et osent s’exprimer de plus en plus.

L’activité « météo » est positive pour chaque enfant. Effectivement, ceux qui ont besoin de s’exprimer en ont la possibilité. Ceux qui ont « peur » de s’exprimer peuvent simplement faire un geste et ajouter des mots après quelques temps. Ces derniers prennent confiance en eux petit à petit.

Cette activité a aussi permis à un élève « difficile » de trouver une place dans la classe et de se sentir appartenir à la classe mais aussi de s’exprimer et de libérer des émotions ou des besoins qu’il avait envie de partager. De plus, elle m’a permis d’écouter ce qu’il avait envie de dire et d’être attentive à son humeur afin d’essayer d’anticiper certaines ces réactions. Cette activité me permet également de prendre du temps pour écouter et essayer de percevoir l’univers de chaque enfant.

La synchronisation pour se connecter avec empathie

La synchronisation est le fait de se coordonner physiquement avec notre interlocuteur, de prendre la même posture, la même attitude que celui-ci. À l’école et dans ma vie personnelle, je fais régulièrement preuve d’empathie et je suis très souvent synchronisée avec la personne avec laquelle je parle. J’ai pris conscience de cela après notre séance sur ce thème. Je trouve cela très amusant d’observer les comportements des gens et de voir ou non leur synchronisation avec leur interlocuteur.

Les règles et la discipline positive

Donner du sens à la règle

Dans ma classe, nous n’avons qu’une règle : « il est interdit d’empêcher d’apprendre » (aux autres ou à soi-même).

Nous avons exprimé et listé des comportements observables rencontrant ou non cette règle avec les enfants. Pour apprendre, il faut être dans de « bonnes conditions » comme ne pas interrompre autrui / parler une personne à la fois, avoir son matériel en ordre…

Cette règle « empêcher d’apprendre » peut être déclinée pour beaucoup de cas. Cependant, il est clairement difficile de s’obliger soi-même à apprendre et encore plus de sanctionner une transgression à cette règle. Mais par cet aspect de la règle, je voulais attirer l’attention des enfants sur le fait que leur comportement influençait les apprentissages du groupe mais aussi leurs apprentissages personnels. Je mets beaucoup plus l’attention sur les conséquences de nos comportements pour chacun et essaie ainsi de les responsabiliser petit à petit plutôt que de leur dire que « c’est comme ça ».

Ce point me semble important et je voudrais le mettre en place davantage dans ma pratique future.

Une sanction est accompagnée d’une écoute

Lorsqu’un enfant est puni, la sanction est toujours suivie d’un moment d’écoute et d’un temps de réflexion sur la réparation qui pourrait être envisagée. Ce point me semble important et je voudrais le mettre en place dans ma pratique future.

Une discipline positive

En parallèle, je valorise les enfants dès qu’ils font quelque chose de bien. Plusieurs enfants ont pris goût à cela et, maintenant, essayent réellement de bien faire et font beaucoup moins de bêtises. Des enfants qui attiraient autrefois l’attention par un comportement inapproprié comprennent qu’ils peuvent attirer l’attention autrement. Ils sont moins dans la provocation, en train de chercher les autres, plus posés… Ils jouent plus calmement dans la cour.