Photos intimes d’adolescents sur Internet : pour une éducation au consentement
La circulation de photos intimes de jeunes sur Internet est devenue monnaie courante, souvent accompagnée de la moralisation des victimes. les tribunaux de la jeunesse sont débordés. Comment responsabiliser les jeunes ? Comment réagir en tant qu’adultes ?
Par Julien Lecomte
Prenons un cas typique : une jeune fille partage une photo d’elle nue à son petit copain. Peu de temps après, il la montre à ses amis, qui eux-mêmes la rediffusent. Les adultes blâment alors la jeune fille : « tu n’aurais jamais dû partager une photo de ton intimité » !
Dans certains établissements, des jeunes élèves ont été contraintes de changer d’école, soit en raison du regard porté sur elles (y compris par les adultes), soit carrément parce qu’elles ont été renvoyées. Pour ces ados, c’est la double peine. En effet, au niveau des victimes, l’une des réactions typiques est de penser que leur image est détruite à jamais : « ma vie est foutue ».
Cette moralisation de la victime participe au problème. Dans les campagnes de prévention, souvent, le focus est mis sur la réputation : on dit aux jeunes que ce qu’ils publient peut-être retourné contre eux et que ça risque de les poursuivre toute leur vie. C’est la stratégie de l’épouvantail : « imagine, si un professeur tombe là-dessus ! », « imagine, dans dix ans, si un employeur voit cette photographie ou cette vidéo ! ».
Tout cela peut être contreproductif. Avons-nous envie de vivre dans une société où l’on encourage à avoir une carte de visite édulcorée en permanence, n’autorisant aucun « écart », aucune « déviance » par rapport à une certaine norme sociale ? Finalement, n’est-ce pas l’employeur lui-même qui a un comportement pervers d’aller trifouiller dans le passé de ses potentiels employés, plutôt que de les juger sur leurs compétences et leurs attitudes professionnelles ?
Le recours à la loi et à la justice pose question également : pas mal de jeunes et leurs parents se retrouvent au tribunal pour des procédures de plusieurs mois, voire années. Cela leur permet-il de « passer à autre chose » (pour les victimes) et « d’apprendre quelque chose » (pour les auteurs) ?
Valeurs de société et consentement
En réponse à ces enjeux, trois pistes éducatives.
D’abord, les actions évoquées ci-dessus ne permettent pas de réfléchir ensemble à la société que nous voulons. S’il n’y avait personne pour s’en offusquer, en quoi la circulation d’une photo intime pose-t-elle problème ? Pourquoi désapprouver le fait de partager des photos de soi à son petit copain ou sa petite copine ? Pourquoi juger négativement l’exposition de la nudité des corps ? Ce sont des questions morales importantes à poser si l’on veut faire société ensemble. Il s’agit de partager avec les jeunes une déconstruction critique des mœurs et des normes sociales. A ce titre, on peut aussi interroger la consommation de la pornographie, et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.
Ensuite, le consentement est fondamental dans tout ce qui touche à une éducation relationnelle. Ce concept dépasse d’ailleurs la question du partage des images en ligne. Pensons notamment au harcèlement sexuel.
Dans bien des cas, les images intimes sont partagées de prime abord dans un cadre privé. Souvent, c’est la compagne ou le compagnon qui est à l’origine de la « fuite ». Or on insiste pour dire aux jeunes de « faire attention à leur propre image », mais peu à l’égard de l’image d’autrui : au contraire du concept de réputation, le consentement fait généralement partie des absents lorsqu’il est question d’éducation à l’image en ligne. Et les adultes peuvent difficilement se vanter de faire figure d’exemple : comment expliquer à des jeunes qu’il faut demander l’autorisation explicite d’une personne avant de diffuser son image, quand des milliers de photos d’eux circulent depuis des années sur Internet, et ce sans leur avoir jamais demandé leur opinion à ce sujet ?
Enfin, ce thème invite à une réflexion sur la place de l’apparence physique et de l’image dans notre société. Nous sommes baignés dans une idéologie réduisant nos relations et nos identités à notre emballage corporel. N’y aurait-il pas un climat « anxiogène », notamment autour de l’estime de soi, qui résulterait de la pression sociale de « montrer une bonne image » sur les médias sociaux ?