L’apport de l’éducation aux médias pour le développement du questionnement critique. Quelle importance accorder au choix de la pédagogie ?

Par Carmen Michels

L’émergence des nouveaux médias a transformé les capacités de l’usager médiatique : le citoyen récepteur peut maintenant se faire relayeur et créateur d’informations. Dans un temps où le flux d’informations tourne à une vitesse incroyable, où les rumeurs et la désinformation prennent de l’ampleur dans les médias, il est nécessaire que le récepteur utilise sa pensée critique afin de traiter ces informations et en tirer du sens.

L’éducation aux médias s’est assigné la mission de former des citoyens autonomes, critiques et responsables. Dans ce but, les éducateurs utilisent des outils et des pédagogies diverses, dont l’efficacité n’est cependant que rarement évaluée de manière systématique. C’est à cette lacune que le travail veut répondre en partie, cherchant à évaluer de manière systématique l’apport de l’éducation aux médias pour l’enseignement critique, c’est-à-dire qui vise au développement du questionnement critique de l’élève.

Deux approches pédagogiques différentes ont été considérées, l’une assez classique, l’autre plus spécifique : d’une part, le modèle d’apprentissage de conditionnement, et d’autre part le modèle d’apprentissage constructiviste interactif. Le travail a tenté de vérifier expérimentalement si les élèves apprennent mieux en recevant un modèle simple à imiter où s’ils sont amenés à construire leur propre grille d’analyse.

Trois hypothèses ont été retenues. La première supposait qu’un cours en éducation aux médias peut développer l’esprit critique et plus précisément le questionnement critique de l’apprenant. La seconde hypothèse supposait que les élèves ayant suivi un cours basé sur le modèle constructiviste interactif et qui ont donc élaboré leur propre grille d’analyse posent plus de questions que la classe ayant suivi un cours basé sur le modèle de conditionnement. Et la troisième et dernière hypothèse supposait que la classe qui a travaillé avec la grille préconçue pose des questions que l’on puisse considérer comme étant plus critiques que celles posées par l’autre classe.

Ces hypothèses ont été évaluées sur trois classes de l’enseignement secondaire général en comparant la capacité de questionnement critique d’élèves selon qu’ils ont suivi un cours construit selon le modèle de conditionnement (classe 1), selon le modèle constructiviste interactif (classe 2), ou pas de cours spécifique en éducation aux médias (classe 3, constituant notre groupe-contrôle).

L’objectif du cours d’éducation aux médias mis en place dans cette expérience était d’apprendre aux jeunes l’adoption d’un réflexe de questionnement critique face aux informations. Le dispositif implémenté visait à déconstruire les théories du complot tout en apportant des clés d’analyses permettant d’analyser tout autre document médiatique. Au moyen d’une grille d’analyse les élèves ont appris à questionner les médias selon six angles de vue (les faits, l’auteur, les sources, le média et la structure argumentative). Dans la première condition (conditionnement), la grille était directement enseignée aux élèves ; dans le second cas (modèle constructiviste interactif), elle était construite par les élèves.

La capacité de questionnement critique des élèves a été évaluée suivant une méthode dérivée de celle mise en place par Redmond et Cooper Moore (2016) pour évaluer les habitudes de questionnement des étudiants. Les élèves devaient lire un article, puis il leur était demandé de formuler des questions autour des angles de vues appris au cours. Nous avons analysé les questions ainsi produites, comparant leur nombre, leur type et leur complexité selon les conditions expérimentales.

Le travail a permis de confirmer qu’un cours en éducation aux médias développe le questionnement critique des élèves. Peu importe le modèle d’apprentissage, les deux classes posent sans équivoque plus de questions que le groupe contrôle n’ayant pas suivi de cours. Non seulement les élèves qui ont suivi un cours formulent plus de questions, mais celles-ci peuvent être considérées comme étant d’un niveau de questionnement critique supérieur à celles posées par le groupe contrôle. Le travail a également pu constater que bien que, dans chacune des trois classes, il y ait plus ou moins le même pourcentage d’élèves qui ne croyaient pas à l’article distribué, l’argumentation des élèves diffère d’une classe à l’autre. Les classes ayant suivi un cours relèvent plus souvent des arguments qui remettent en question la fiabilité de l’article (par exemple, l’anonymat de l’auteur, l’absence des sources) que les élèves du groupe de contrôle qui s’attachent à d’autres éléments (par exemple, la vraisemblance).

L’expérience montre donc que le cours implémenté leur a non seulement appris comment questionner des documents médiatiques, mais également comment utiliser les fruits de ce questionnement pour fonder la décision de croire ou non à la véracité de l’article.

Concernant les approches pédagogiques testées, les résultats ne sont pas aussi évidents et le travail ne permet donc pas d’affirmer de manière claire qu’il y a lieu de privilégier un de modèle d’apprentissage sur l’autre. Bien que les données montrent que les élèves ayant suivi le modèle d’apprentissage constructiviste interactif ont posé plus de questions que la classe ayant suivi un modèle d’apprentissage de conditionnement, on ne peut pas affirmer, comme le suppose notre troisième hypothèse, que celles-ci témoignent d’un niveau d’esprit critique inférieur à celles posées par la classe ayant suivi le modèle constructiviste interactif.

Les faibles écarts entre les deux groupes ainsi que l’ambiguïté des données ne nous permettent ni de confirmer ni d’infirmer cette dernière hypothèse. C’est pourquoi, nous retenons que les deux approches pédagogiques semblent a priori avoir permis de développer de manière similaire la capacité de l’élève à formuler des questions plus critiques.

Cette étude contribue donc à l’évaluation de l’apport que l’éducation aux médias peut avoir pour le développement critique des adolescents. Elle constitue également une analyse des deux modèles d’apprentissage testés ainsi que les points forts et faibles que ceux-ci offrent à la fois pour l’apprenant et l’enseignant. Les conclusions identifient également des pistes qui pourraient être développées ultérieurement, comme le mode d’évaluation de l’esprit critique ou la motivation des formateurs à adopter certaines pédagogies.