Règles et règlements à l’école : réfléchir au sens de la règle

Fréquemment, des demandes de formation concernant les règlements, la règle, les limites et les sanctions nous parviennent de différentes écoles primaires ou secondaires. A la suite de celles-ci, certaines écoles décident d’aller plus loin. En voici quelques échos…

Par Laurent MARCHESI, initialement publié dans le trimestriel n°97, en 2006.

C’est à la suite d’une formation de 2 ou 3 jours ou d’une conférence sur la violence que rendez-vous est pris pour essayer de réfléchir ensemble sur la question de la loi, de la règle. La grosse question méthodologique qui se pose d’emblée, me semble-t-il, est de savoir si l’on part des comportements posant réellement problème dans l’établissement. Ou si d’une réflexion sur les valeurs que l’on souhaite véhiculer peut naître un règlement applicable. Après moult tergiversations avec les groupes, c’est finalement la deuxième formule qui est adoptée : partir des valeurs importantes pour élaborer ensemble des règles qui répondent à certains critères.

Des règles et des valeurs : une réflexion sur le sens de la règle

Je demande aux participants de citer les 5 valeurs fondamentales à promouvoir et qu’ils sont prêts à défendre et à vivre dans l’école. Je les classe ensuite par ordre d’importance et d’urgence.

Le top 5 des valeurs les plus fréquemment citées se dégage :

  • Éducation
  • Respect
  • Travail
  • Autonomie
  • Responsabilité

Une véritable cartographie des valeurs du groupe est alors visible. Bien sûr les valeurs sont en constante évolution ; néanmoins, nous avons tous besoin de pouvoir nous référer hic et nunc à des « vertus communes » que nous souhaitons acquérir ou promouvoir. Chacun peut  mesurer à ce moment l’écart entre ses propres références et les valeurs-phares de la direction ou des élèves. Négocions, négocions…

Un premier travail permet de constater qu’une bonne partie des règles en vigueur se trouve en porte-à-faux par rapport aux valeurs ou au décret. Par exemple, l’école veut favoriser l’autonomie et sanctionne un élève qui n’a pas fait signer son journal de classe chaque jour de la semaine.

Une seconde étape permet de voir encore plus clair sur les valeurs essentielles propres à chaque établissement. Ainsi, je demande à chaque personne de sélectionner les trois valeurs sur lesquelles elle estime ne pouvoir transiger. Bien souvent émergent le travail, la politesse et la solidarité.

Après tout ce travail de mise au clair des valeurs, nous revoyons et corrigeons si nécessaire les règlements d’ordre intérieur souvent vieillots et obsolètes.

Inévitablement d’autres questions se posent : Est-ce qu’on rédige des règles très précises et forcément nombreuses (ex. : interdiction de la casquette, du piercing, des tatouages, du gsm en classe, dans la cour, dans les rangs, etc.) ? Auquel cas les parents ou les enfants risquent de s’engouffrer dans les failles et les exceptions (ex. : « Ce n’est pas un tatouage, mais une décalcomanie »).

… Ou est-ce qu’on se limite à un petit nombre de lois  en courant le risque de laisser la part trop belle à l’arbitraire ? (Ex. : « je dois respecter les adultes et mes condisciples ». Si je ne dis pas bonjour ou au revoir, est-ce que je suis forcément irrespectueux ?).

Les règles de la règle

Je propose alors aux participants quelques principes pour élaborer leur règlement. Principes que nous appelons les règles de la règle ou les « 5 C ».

Pour être efficace, en effet, une règle doit être claire, connue, concrète, constante, conséquente.

Avant toute chose, nous avons à cœur d’écrire celles-ci en termes de droits pour insister sur le côté libérateur et positif de toute obligation. Les règles sont bel et bien au service de la vie en communauté. Exemple : « j’ai le droit de communiquer avec l’extérieur lors des récréations, je coupe mon GSM lors des cours », « J’ai le droit à la sécurité et au respect, j’évite de cracher dans les couloirs », etc. Nous laissons de côté les règles ayant peu de rapport avec les valeurs décidées comme fondamentales.

De cette manière, chaque enfant (et l’adulte) peut faire le lien entre l’interdit et le droit effectivement exercé. Ainsi peu à peu le sens de la règle peut s’établir autrement que dans la pure obligation exclusivement contraignante.

Une fois ce gros travail terminé, certaines règles paraissent inapplicables dans les faits car encore trop abstraites : « J’évite les accidents, je respecte les consignes ». Il me semble essentiel à ce moment de rester centré sur les comportements posant réellement problème à une majorité. De plus, nous sommes surpris de voir que bon nombre d’entre eux  (absentéisme, GSM…) font déjà l’objet de prescrits et de sanctions dans ledit décret auquel les parents et les enfants peuvent se référer par ailleurs.

En point d’orgue, le trait d’humour est de mise puisque certains n’hésitent pas à ajouter comme dernière règle « J’ai le droit de ne pas suivre le présent règlement, j’ai le devoir d’en construire un mieux ficelé en accord avec tous les acteurs de l’école ».

On le voit, travailler le règlement en classe ou dans l’école n’est pas affaire anodine. Cela requiert en amont toute une recherche sur le sens de l’école aujourd’hui, les besoins des adultes, ceux des enfants et de la société dans laquelle ils évoluent et évolueront. Les lois, les décrets fixent un cadre. Il nous appartient pourtant d’en fixer le sens. Ce sens nous échappe souvent. Comme l’individualisme est devenu la règle, comment fixer les règles du « bien vivre ensemble » sans paraître rétrograde ou légèrement  idéaliste ? En comprenant, en expliquant, en négociant toujours.

Des règles construites ensemble

Je pense qu’on gagne du temps en faisant tout ce travail sur les valeurs. L’écriture du règlement coule ensuite de source. Car il ne s’agit plus ici de savoir ce que l’on ne veut pas (prescrit d’interdits), mais bien d’être au clair avec les attitudes que l’on veut promouvoir.

C’est bien là la dernière étape de ce processus : intégrer les enfants dans la démarche afin que la règle ne vienne plus d’en haut, mais provienne même de leur initiative et soit discutée, gage de son appropriation.

Je finis d’écrire cet article et j’entends qu’une école de Châtelineau refuse d’appliquer le nouveau décret interdisant de fumer dans les écoles. Le bourgmestre de Charleroi quant à lui se retrouve derrière les barreaux. Je me demande comment on peut demander aux adolescents de respecter une loi quand les adultes eux-mêmes la contournent à qui mieux-mieux. Quel est le sens de la loi alors ? Cela me rappelle que la loi est une co-construction toujours en devenir, à remettre sur le chantier pour qu’elle soit applicable. Et qu’il nous appartient toujours de la rendre vivable ou non…