Le 1er septembre 2005, Virginie Massart-Delfosse, enseignante, est retournée dans son école (une école primaire en région namuroise). Elle a ainsi retrouvé sa classe de cinquième primaire avec le projet d’initier ses élèves aux techniques d’apprentissage à la gestion positive des conflits propres à l’Université de Paix. Qu’en est-il ?

Un témoignage initialement publié dans le trimestriel n°94, en 2006.

Apprendre à vivre ensemble : un défi en classe ?

Chaque lundi matin, dans la classe de cinquième primaire, tout est prêt : les chaises sont disposées en cercle et les enfants sont assis, impatients de découvrir l’activité qui inaugurera une nouvelle semaine à vivre ensemble.

Depuis le début de l’année scolaire, je consacre une période par semaine à ce que les enfants ont eux-mêmes rebaptisé «savoir vivre».

Il s’agit de proposer à chaque enfant du groupe de vivre des situations qui vont lui permettre de (re)découvrir des mots ou des gestes qui établissent ou maintiennent une relation de qualité avec lui-même ainsi qu’avec les autres enfants de la classe.

Tout est prêt: pourquoi ?

Mon intention est de proposer aux enfants un lieu de rencontre hebdomadaire dans un cadre de confiance et d’écoute pour les aider à sortir des impuissances qu’ils ont de se dire. Il s’agit de leur fournir des occasions de vivre leurs émotions comme un véritable langage. Je constate que souvent, la violence passe par les mots, et c’est ainsi que je peux tenter de la prévenir ou de la gérer.

Les thèmes abordés durant les activités sont variés : apprendre à mieux me connaître, reconnaître mes qualités et les partager, expérimenter un climat de confiance, vivre la coopération, élargir mes connaissances sur les sentiments et les besoins ( les identifier et les partager aux autres ), reconnaître des jugements et les transformer en faits, développer l’écoute, expérimenter le langage non verbal, découvrir les règles pour se disputer loyalement, élargir mes stratégies pour résoudre un conflit …

Tout est prêt: à quoi ?

Soucieuse de varier l’approche des animations (ateliers tournants, recherche individuelle, échanges par groupes de 2, réalisation d’une production de groupe), les jeux de coopération, les saynètes, les contes présentés aux enfants servent de prétexte afin de leur permettre de mettre des mots sur ce qu’ils vivent, de parler d’eux-mêmes et ce dans un cadre sécurisant.

Un des premiers objectifs est de créer un climat de confiance afin que chacun se sente libre de s’exprimer librement sans craindre les jugements ou les moqueries.

A cette fin, plusieurs moyens sont mis en place dans le but de rendre cette activité rassurante pour chaque enfant :

  • la récurrence temporelle de l’activité et l’organisation spatiale : dès que les enfants arrivent en classe le lundi matin, ils savent exactement ce que j’attends d’eux : ils placent les chaises en cercle au milieu de la classe et s’asseyent en faisant attention à ce que la forme de notre cercle ne prive aucun enfant du contact visuel qu’il pourrait avoir avec n’importe quel intervenant du groupe.
  • Les règles de vie : au début de chaque séance, les enfants rappellent les 4 règles que je leur ai proposées de respecter. Lorsqu’ils les ont découvertes pour la première fois, je leur ai expliqué le sens que je mettais derrière chaque règle et pourquoi elles étaient importantes pour moi. Lors des semaines suivantes, j’ai proposé aux enfants de rappeler les règles de différentes manières : un enfant explique l’objectif d’une règle sans la nommer et le reste du groupe doit découvrir de laquelle il s’agit, un enfant mime la règle corporellement et les autres doivent la découvrir…
  • L’organisation de la séance : chaque rencontre de 50 minutes se compose de 4 temps différents.
  1. L’accueil et le rappel des règles : je prononce quelques paroles qui marquent le début de l’animation et je souhaite la bienvenue à chaque enfant. Je leur demande ensuite de rappeler les règles qui fixent le cadre dans lequel nous allons travailler.
  2. ‚L’activation : dans cette phase, les enfants découvrent la tâche qui va leur être demandée. Soucieuse de permettre à chaque enfant de s’exprimer au sujet de ce qui va être vécu et consciente de l’importance de cet échange, je choisis de réaliser une seule activité par séance.
  3. La décantation, l’échange. Après avoir expérimenté l’activité en la ressentant « de l’intérieur », nous allons échanger sur le contenu de l’activité mais aussi et surtout sur la manière dont chacun a vécu l’activité. Cette partie constitue l’essence même de l’animation, c’est ici que se dévoilent les peurs, les joies, les difficultés rencontrées par les enfants. S’arrêter à ce constat ne serait, à mon sens, pas suffisant. Par des interventions courtes, je guide le débat afin de permettre à chacun, protagoniste ou spectateur, de clarifier ce qui se vit ou ce qui se dit afin de trouver une issue qui le satisfasse pleinement.
  4. „ L’intériorisation et la trace écrite. Après avoir échangé en grand groupe, ce temps permet à chaque enfant de se retrouver face à lui-même. Dans son cahier, il va garder un souvenir de ce que nous avons vécu ensemble. Cette « synthèse » est soit créée par chaque enfant, soit complétée par chacun en suivant un schéma commun. Dans tous les cas, elle sera le fruit de ce qui a touché l’enfant pendant la séance. C’est pourquoi, il est rare que deux enfants aient la même trace dans leur cahier.

Tout est prêt: jusqu’où ?

  • pendant le reste de la semaine : suite aux échanges vécus, suite à l’expression d’une souffrance ou au contraire d’un bonheur, j’ai constaté que les enfants sont plus compréhensifs entre eux, ils cherchent à s’entraider, ils n’hésitent pas à féliciter un de leurs camarades qui s’est dépassé, ils s’encouragent lors des moments difficiles.
  • avec les parents : bien que les parents ne soient pas présents lors des activités, il est fréquent que celles-ci trouvent un écho à la maison. Il m’est arrivé de rencontrer certains parents qui me confiaient combien leur enfant avait été stimulé par une activité et combien cette activité avait résonné en lui. L’amorce d’un dialogue s’installe alors à la maison.

L’écho des enfants

Au terme d’un trimestre de travail, un espace de parole est créé afin que les enfants puissent partager ce qu’ils ont vécu durant la leçon et réfléchir aux réactions que la leçon a pu provoquer.

A quoi vous servent ces leçons ?

  • « On apprend à se comprendre et à vivre ensemble en partageant la confiance. »
  • « Ca me sert à partager mes sentiments, parfois ce qui ne va pas, alors ça m’aide à mieux nous comprendre l’un l’autre. »
  • « A se retrouver tous ensemble pour mieux se connaître. »

Qu’est-ce qui a changé pour vous depuis le début des séances ?

  • « Quand on joue à des jeux, on se bouscule moins. »
  • « Avant, on ne se connaissait presque pas, maintenant, on sait le métier que les autres veulent faire, ce qui leur fait vraiment peur, à quoi ils rêvent … »
  • « Maintenant, je me comprends mieux. »
  • « Avant, on laissait des personnes de côté et maintenant, on en laisse de moins en moins. »

Du côté des parents

Le soir, avant d’aller dormir, il arrive que certains enfants prennent du temps avec leurs parents pour échanger sur les activités que nous avons vécues. « Je montre à maman la synthèse et elle me demande que je lui dise ce que j’ai fait, alors je lui explique. »

A d’autres moments, les parents font le lien entre leur vécu familial et notre travail en classe. « Quand maman voit que je me dispute avec ma sœur, elle me dit : essaye de te souvenir du cours de Madame Virginie, essaye de l’apprendre aux autres ! »

Pour conclure …

Pouvoir décoder ce qui se vit chez chacun, assumer le regard de mes collègues, prendre du temps pour chacun, oser y croire même quand c’est difficile, demander de l’aide, être authentique en toutes circonstances, créer de nouveaux outils, poursuivre ma recherche de sens, mettre toute mon énergie au service de ce en quoi je crois … autant d’éléments qui me poussent à me remettre sans cesse en question, à me repositionner face à moi-même et qui m’aident à avancer sur le chemin de la vie…