L’Université de Paix est en réseau avec divers organismes tant en Belgique que dans le monde. Entretien avec Patricia Patfoort, conceptrice du modèle « Majeur-mineur-Equivalence », co-fondatrice et présidente de l’asbl De Vuurbloem, active dans l’éducation à la nonviolence en Flandre.

Des propos initialement recueillis par Christine Cuvelier et publiés dans le trimestriel du mois de décembre 2008 de l’Université de Paix.

Bonjour, Patricia. Si nous te demandons de te présenter ainsi que De Vuurbloem, que dirais-tu ?

Je me vois comme une femme heureuse, qui est arrivée à faire dans la vie, et en particulier dans sa profession, ce qu’elle voulait et veut. Même si j’ai aussi eu des moments difficiles dans le courant de ma vie d’environ 60 ans maintenant. Et je me sens maintenant encore toujours en plein milieu de cette vie très active et pleine de projets. Je pense que je suis une personne optimiste, énergique, volontaire, persévérante et auto-disciplinée.

Je suis aussi une mère comblée, avec mes deux fils d’une trentaine d’années, avec qui j’ai une telle belle relation qu’elle m’émeut souvent. Je suis aussi une belle-mère comblée : les relations avec mes deux belles-filles me rendent souvent particulièrement heureuse. Et puis il y a comme cerises sur le gâteau encore mes deux petites-filles de 3 ans, des jumelles, avec qui je construis une relation qui me satisfait beaucoup et me donne beaucoup de joie.

Et puis bien sûr, il y a aussi ma profonde relation avec mon mari, qui me donne énormément de satisfactions et de bonheur.

Je fais régulièrement du sport (alpinisme, marche en montagne, cyclisme), et je joue très régulièrement de la musique (je viens de commencer l’accordéon il y a un peu plus d’une année, après avoir fait du piano toute ma vie). J’aime beaucoup la nature et les animaux (nous en avons pas mal à la maison), et je trouve l’écologie très importante.

Mon activité professionnelle, sur le thème de la prévention, gestion nonviolente et transformation des conflits, est continuellement entremêlée avec ma vie privée : il est très important pour moi de mettre en pratique ce à quoi je crois et ce que j’offre aux autres. Ce n’est que comme cela que je peux me sentir bien, être en paix avec ma conscience. Mais à côté de cela je vois aussi tous les résultats fabuleux que cela apporte dans toutes mes relations autours de moi, même avec le papa de mes enfants (qui n’est plus mon mari depuis presque 30 ans), sa femme et leur fils adolescent. Avec eux on a aussi construit une très belle relation d’affection et de confiance.

Je ne sais pas si cette présentation est très brève, mais j’ai le sentiment qu’il y a tellement dans ma vie, qu’il m’est difficile de la faire plus courte…

Et puis De Vuurbloem. C’est un centre à Bruges que j’ai créé en 1991, ensemble avec Josiane Burrick. Nos chemins de nonviolence se sont rencontrés à un certain moment, et nous avons décidés de travailler ensemble. Maintenant, nous sommes environ une vingtaine dans De Vuurbloem, surtout sur base de bénévolat, car nous n’avons pas beaucoup de finances. Nous ne sommes pas subsidiés. Mais je vois que nous avons un énorme potentiel humain dans notre centre : plein de bonne volonté, plein d’initiatives, plein d’activités. C’est très beau. Nous travaillons beaucoup dans l’éducation (familles, élèves de tous âges, enseignants, éducateurs, adolescents dans des situations difficiles), dans des prisons (avec des groupes de dix détenus, souvent des gens qui ont tué), avec des gens qui s’occupent de personnes âgées, des sections de police, des religieux, etc. (1). Nous donnons des conférences, des formations, faisons des médiations, accompagnons des personnes dans des situations de conflits ou des équipes qui fonctionnent difficilement. En fait, nous cherchons à offrir une réponse, une aide à n’importe quelle demande en rapport avec la prévention, gestion et transformation des conflits.

Je travaille comme conférencière, formatrice et médiatrice dans De Vuurbloem. En dehors De Vuurbloem, je fais aussi encore des formations dans des situations de conflits inter-ethniques, par exemple au Kosovo, dans le Caucase, dans différents pays d’Afrique.

Il y a plusieurs années, tu as participé aux formations proposées par l’Université de Paix. Quel impact ces formations ont-elles pu avoir dans ton quotidien privé, professionnel ?

Ces formations ainsi que les nombreux contacts personnels et d’amitié que j’ai eu avec les différents formateurs m’ont énormément apporté sur mon chemin de la nonviolence. Cela m’a aussi beaucoup inspiré pour les méthodes et techniques de travail pour nos formations. Cette période a été une base importante tant pour mon travail que pour la création De Vuurbloem, et aussi, c’est certain, pour comment j’ai construit la nonviolence dans ma vie privée.

Auteure, conférencière, formatrice et médiatrice dans le domaine de la transformation des conflits et la gestion nonviolente des conflits, tu as mis au point un cadre théorique original, le cadre MmE. Peux-tu nous le décrire ?

C’est difficile de faire cela en quelques lignes. Et surtout sans schémas. Car c’est justement cela qui est important dans ce cadre. En fait dans ce cadre il y a deux colonnes: celle de gauche est celle du modèle Majeur-mineur, qui est à la base des mécanismes de la violence, et celle de droite est celle du modèle de l’Equivalence, qui est à la base de la nonviolence. Ce sont des modèles très simples, et surtout très reconnaissables, ce qui fait qu’ils permettent aux gens de mieux situer ce qu’est la violence, de voir tout ce qui est contenu dans la violence, et donc comment ils y contribuent aussi eux-mêmes. Et surtout, ensuite, ces modèles permettent de déduire clairement à quoi ressemble l’alternative pour la violence, la nonviolence. Et ils offrent à la fin de ce parcours un schéma d’un processus pour résoudre les conflits de façon équivalente et nonviolente.

A mon avis, ce cadre explique la nonviolence d’une façon logique, presque mathématique, et ainsi je dirais irréfutable. Cela peut être assez confrontant. Mais c’est clair, et je pense très utile pour développer la nonviolence.

Bien sûr ce cadre est tout à fait en concordance avec toutes les autres façons de présenter et travailler la nonviolence et de gérer les conflits de façon constructive. Mais c’est une autre façon de le faire, avec certains avantages particuliers.

Comme l’Université de Paix, tu a participé à la conférence internationale clôturant la première phase de la recherche-action européenne Daphné II sur la prévention de la violence en maternelle. Tu y as présenté ton modèle de transformation des conflits « Majeur-mineur-Equivalence (MmE) ». Que peut-il apporter dans le cadre de l’élaboration d’un programme européen d’éducation à la paix pour les enfants, les enseignants… ?

Je pense qu’il peut être très utile pour aider les enseignants à clarifier pour les enfants ce qu’est exactement la violence, comment elle naît et se développe, et donc comment les enfants y participent,  souvent sans qu’ils ne le veuillent ou ne l’ont cherché. Un gros problème c’est que les enfants veulent et ont besoin de se défendre et de se protéger, et que souvent ils ne savent pas comment le faire autrement qu’en utilisant de la violence. Il n’est donc pas seulement important que les enfants comprennent mieux ce qu’est la violence et se rendent compte qu’ils y participent et comment, mais aussi qu’ils sachent comment se défendre d’une autre façon. Il faut que ce que nous leur proposons soit réaliste et acceptable pour eux. Je crois que les modèles MmE peuvent beaucoup aider dans ce cheminement.

Quels sont tes projets pour l’avenir ?

Ce que je veux surtout, c’est continuer comme je suis en train de faire. Je suis très satisfaite de ce que je fais, de la vie que je mène, tant personnelle que professionnelle. Mais il y a certainement encore un tas de groupes et de personnes avec lesquelles je voudrais travailler, à qui je voudrais apporter les modèles MmE. Surtout des personnes qui ont du pouvoir dans la société, des responsables, des politiciens. J’ai l’impression que souvent ces personnes-là ne prennent pas le temps de réfléchir à et d’étudier ce genre de choses-là. Et puis j’ai aussi encore plusieurs projets de livre. J’ai encore tellement d’idées et d’histoires que je veux mettre sur papier. Et je pense aussi éventuellement à un film pour lequel je voudrais écrire le scénario. Et puis, il est important pour moi qu’il y ait de plus en plus de groupes qui travaillent sur les exercices de mon dernier livre. Il y a déjà plusieurs de ces groupes de lecture/travail, aussi à l’étranger (mes livres ont paru en plusieurs langues). Et puis il est aussi important pour moi que De Vuurbloem se développe le mieux possible, donc je veux soutenir nos nouveaux formateurs/formatrices et autres collaborateurs.

Et enfin, un grand souhait que j’ai, c’est de pouvoir travailler plus à fond, sur de plus longues durées, avec des groupes de différentes ethnies qui sont en conflit les uns avec les autres, et travailler jusqu’à élaborer des solutions.

Quel est le meilleur compliment que nous puissions te faire ?

Quelle belle question… En cherchant à te répondre, je me dis d’abord que je reçois souvent et beaucoup de compliments, ce n’est donc pas vraiment que cela me manque. J’ai de la chance. Parce que c’est très agréable de recevoir un compliment. Mais un de plus fait naturellement encore toujours plaisir…

Je crois qu’un des plus beaux compliments que des gens peuvent me faire, c’est quand j’ai géré une situation complexe dans le cours d’une formation, une situation qui ne peut pas être préparée, et qu’au moment même j’arrive à orchestrer de telle façon que tout le monde se sent bien et en sort un maximum. Alors je suis fière de moi-même, et cela me fait plaisir quand d’autres s’en sont rendus compte et me le disent, et me félicitent pour cela.

En quelques mots et en guise de conclusion, le mot de la fin pour toi, ce serait…

Je suis très heureuse que l’Université de Paix m’ait demandé cette interview, car j’ai toujours beaucoup apprécié l’Université de Paix, son travail et son œuvre ; elle m’a beaucoup donné, j’ai toujours gardé le contact avec elle et avec différents de ses collaborateurs. Alors je suis très heureuse qu’aujourd’hui elle se soit intéressée à mon travail sous cette forme, et aussi le fasse connaître de cette façon dans la partie francophone du pays. Je vous en suis reconnaissante.