Depuis que j’assure le module de formation « Règles et sanctions » en milieu scolaire, je suis confronté à la question récurrente des professeurs, à propos de l’usage des smartphones par les élèves. C’est un peu un classique du genre : tel enseignant les tolère en mode « silencieux », tel autre ne veut même pas les voir, un autre professeur utilise lui-même le sien en classe… Sans parler des parents qui souhaitent que leur chérubin reste joignable à tout moment en-dehors de la maison.

Dès lors, que faire ?

En théorie : quelques critères d’une règle efficace

En théorie, il existe plusieurs critères pour qu’une règle fonctionne correctement. Il faut que celle-ci soit connue, claire et concrète (exprimée en termes de comportements observables), comprise au niveau du sens de celle-ci (en quoi elle est importante, en quoi elle bénéficie à l’ensemble du groupe), conséquente (c’est-à-dire assortie d’une sanction en cas de transgression, exprimée sous la forme « si… alors… ») et enfin constante, « congruente ».

L’interdiction des téléphones intelligents pose divers problèmes : les élèves n’en perçoivent pas toujours le sens, tous les professeurs n’appliquent pas la règle – quand il y en a une – de la même manière, et eux-mêmes ne respectent pas toujours la règle qu’ils sont supposés faire respecter par les jeunes. La dimension « conséquente » de la règle est également mise à mal.

En effet, dans les faits rapportés, certains élèves semblent « jouer » de ces différentes lacunes : « Mais avec Madame Untel, on est autorisés ! », « Pourquoi vous, vous envoyez des messages pendant le cours, alors que vous nous dites que c’est impoli ? », sans compter les crises – y compris parentales – en cas de confiscation.

Il y a enfin le problème de ces longs règlements d’ordre intérieur, dont la multitude d’interdits de différentes gravités peut nuire à la bonne connaissance des règles, et que personne ne lit vraiment.

En général, dans « la » théorie des règles et sanctions, il est recommandé d’uniformiser les règles et leur application, surtout s’il y a un cadre légal « supérieur » qui y invite.

Une manière de couper court à la discussion serait d’appliquer une interdiction totale à l’école, comme c’est par exemple le cas en Angleterre. Une étude récente montre d’ailleurs que l’interdiction aurait des impacts positifs sur les résultats scolaires des enfants, principalement ceux qui éprouvent le plus de difficultés. Ce type de décision pose probablement la question du cadre dans lequel évoluent les adultes et auquel il s’agit de préparer les jeunes : peut-être est-il possible par exemple de développer leurs compétences à s’autoréguler et à gérer leur temps ?

L’interdiction totale n’est en effet pas la seule piste envisageable, surtout en pédagogie.

En pratique : compenser par la communication

Plusieurs enseignants m’ont déjà exprimé le souhait que les règles soient appliquées par toutes et tous de la même façon.

Dans la pratique, c’est rarement aussi simple. Déjà, tous ou presque manifestent une préférence pour leur propre manière de faire. Dans l’idéal de plusieurs enseignants, il faudrait que tous les autres appliquent les règles et sanctions comme eux. Il n’est donc pas aisé de se mettre d’accord. De plus, le temps dédié à ces questions est parfois très limité. C’est d’ailleurs l’un des enjeux d’une formation dans une équipe éducative : elle permet de se rencontrer entre collègues, d’échanger des avis et des pratiques, dans un contexte où l’on n’a pas toujours cette opportunité.

Dans les faits, donc, il est très rare qu’un établissement scolaire arrive à mettre en place une et une seule ligne de conduite appliquée à l’identique par tout le monde (à moins de l’imposer de manière unilatérale, ce qui amène parfois des frustrations). Et quand bien même l’institution y parviendrait, il n’est pas dit que cela mènerait à une solution optimale.

En effet, la société est divisée en différents lieux et contextes, dont chacun ont leurs règles propres. Les comportements attendus au restaurant ne sont pas les mêmes qu’à la maison, à la bibliothèque, à la piscine ou encore au cinéma. Cela ne veut pas dire que les règles doivent être laissées à l’arbitraire, mais bien qu’il fait partie de l’apprentissage de distinguer les comportements recommandés ou interdits en fonction du contexte. A la garderie, dans la classe ou dans la cour de récréation, ce n’est pas la même chose. En cours de maths ou en cours de français, là aussi il peut y avoir des différences. Il peut être judicieux d’apprendre aux jeunes à s’adapter aux contextes, plutôt que d’adopter partout et en toutes circonstances les mêmes comportements.

Concrètement, à l’école, cela veut dire que l’on pourrait aussi très bien reconnaître que tous les adultes n’ont pas le même rapport aux règles et aux sanctions. Avec Madame X, les téléphones doivent rester dans le sac en silencieux. Avec Monsieur Y, ils peuvent être posés sur le coin de la tablette.

L’important est alors que les élèves soient au courant que ces différences sont un choix conscient, assumé et solidaire des enseignants. Il ne s’agirait donc pas tant d’uniformiser les règles que d’uniformiser les discours par rapport à celles-ci : « Je sais ce que fait Madame X dans sa classe et elle a de bonnes raisons de le faire. Je vous demande de respecter aussi les règles de fonctionnement de son cours de mathématiques. Ici, en géographie, les règles sont différentes ». L’adulte préserve ici la cohérence entre collègues, non tant grâce au fait que tout le monde applique les mêmes règles indifféremment, mais grâce à la communication autour des manières de faire.