Quand l’assertivité rencontre ses limites

Idéalement, quand une relation est équilibrée, c’est-à-dire quand les personnes peuvent communiquer de manière authentique, en évitant les pièges des jeux de pouvoir, rien de tel que les outils comme le DESC développé par Chalvin, et la Communication NonViolente selon Marshall Rosenberg. Néanmoins, face à certaines attitudes qui génèrent un déséquilibre, ces outils se heurtent à un mur. Comment repérer ces situations ? Comment s‘en protéger ? 

Par Erika Benkö

Les désaccords qui jalonnent la vie à deux, ou en groupe, font partie du quotidien. Quand arrive une situation désagréable ou difficile, nous avons le choix de mettre les cartes sur table afin de l’affronter et de la dépasser.

Les outils de gestion de conflits permettent d’énumérer dans le calme relatif les faits qui posent problème, d’identifier ses émotions et besoins en pratiquant l’auto-empathie, puis de les exprimer. Après identification de ce qui nous pose problème et prise de conscience de ce qui est négociable et de ce qui ne l’est pas, c’est-à-dire de nos limites, une demande ou des propositions peuvent être formulées. Dans certains cas, un message clair peut suffire pour signaler à l’autre une situation qui nous pose problème et l’émotion qui nous habite. C’est une manière claire de dire STOP à l’autre, que nous ne sommes pas d’accord avec ce qui se passe.

Qu’arrive-t-il lorsqu’après un certain temps, ces outils semblent inefficaces ? Quand le dialogue échoue systématiquement, que l’une des parties reçoit des réponses très peu impliquantes et floues, voire se trouve face au silence, des menaces, de l’ironie, etc.

Il y a manifestement un déséquilibre dans la relation. Nous pouvons même parler de pouvoir sur l’autre afin de maintenir un statu quo, un avantage matériel et/ou un bénéfice quelconque. Une des personnes est niée dans son humanité car ses besoins ne sont pas entendus, pas reconnus.

A ce stade, nous pouvons nous poser la question de la nature de la relation, des enjeux de l’un et de l’autre, conscients et inconscients. Quels bénéfices en tire(nt) l’une et/ou l’autre partie ? Un moment de repli stratégique permet à la personne qui souhaite s’extraire de cette relation peu satisfaisante de faire le point, de revenir à soi et de se poser des questions fondamentales.

Suis-je dans une relation ne permettant pas une communication harmonieuse ?

Le questionnaire suivant a été établi par Yvane Wiart, chercheuse au laboratoire de psychologie clinique à l’université Paris Descartes, auteure de Petites Violences ordinaires. La violence psychologique en famille. Bien d’autres ouvrages sont disponibles sur ce sujet.

Si vous êtes dans ce cas, répondez aux questions suivantes :

  1. Vous sentez-vous détendu(e) et rassuré(e) en présence de l’autre ? Pouvez-vous être vous-même sans qu’il vous critique ou semble vous dévaloriser ?
  2. Partage-t-il ses centres d’intérêt avec vous, et s’intéresse-t-il aux vôtres ?
  3. Parle-t-il ouvertement et honnêtement de lui-même ?
  4. Obtenez-vous le plus souvent tendresse, compréhension et/ou soutien de sa part ?

Jusqu’ici, si vous avez répondu par l’affirmative, tout va bien, la relation est saine. Continuons le questionnaire :

  1. Semble-t-il ne pas avoir les mêmes souvenirs des événements que vous, ni la même compréhension ?
  2. Vous paraît-il régulièrement irrité ou en colère après vous ?
  3. Refuse-t-il d’admettre qu’il est en colère quand c’est manifestement le cas, ou nie-t-il se réfugier dans le silence et l’absence de communication ?
  4. Vous sentez-vous souvent perplexe et frustré(e) par ses réponses et ses réactions, comme si vous ne parliez pas le même langage ?
  5. Vous sentez-vous souvent sur le qui-vive, dans un état d’alerte et de méfiance, en ne sachant trop quoi dire ni faire pour ne pas créer de problèmes ?
  6. Vous arrive-t-il de cacher des choses banales pour éviter des réflexions désagréables ?

La chercheuse Yvane Wiart conclut que si vous répondez par l’affirmative aux questions 5 à 10, il est probable que vous êtes victime de violences psychologiques, l’arme des pervers narcissiques (une notion encore controversée aujourd’hui dans le milieu de la psychologie).

La sonnette d’alarme retentit lorsque, de manière systématique, il y a plus d’inconvénients que d’avantages à utiliser les outils de communication bienveillante. Exténuée par la fatigue morale et physique, la personne victime de violences psychologiques peut finir par douter d’elle-même, de sa perception, de sa capacité à sortir de cette relation et de trouver des solutions constructives aux différents problèmes vécus au sein de cette relation (qu’elle soit professionnelle, conjugale, familiale ou même amicale).

Comment se protéger et faire face aux violences ordinaires ?

Vous pouvez toujours tenter d’affirmer votre point de vue par des techniques d’assertivité classiques, comme le « DESC » : Description des faits, Expression du problème et des besoins et sentiments liés, Suggestion de Solutions, et mise en avant des Conséquences pour l’autre et moi de cette demande.

Assertivité et demande claire : le « DESC »

Si le DESC s’avère inefficace (car l’autre insiste en faisant culpabiliser, en menaçant, en ridiculisant…), il reste alors ce que nous appelons les « roues de secours », les différentes techniques de contre-manipulation et la fuite. C’est-à-dire les stratégies pour protéger sa vitalité, voire même celle de ces proches (par exemple ses enfants), et pour pouvoir se ressourcer à nouveau.

Voici quelques outils de communication parmi bien d’autres :

  • La technique de l’édredon pour faire face à la critique. Elle consiste à répondre dans une posture la plus neutre possible en disant « si c’est ce que tu penses… », « oui, tu as raison », « c’est ton opinion ». Par cette méthode, vous « donnez raison » à la personne, et en même temps vous lui montrez que ses propos ne vous atteignent pas, comme s’ils se heurtaient à un édredon. Or, un comportement de domination vise moins à résoudre un problème concret qu’à prendre l’ascendant sur vous.
  • Une demande vous est formulée, mais vous voulez refuser car vous souhaitez répondre à votre besoin, de repos et de relaxation par exemple. La technique du disque rayé peut être utilisée : il s’agit alors de répéter de manière tranquille votre refus, sans autre explication, demande ou justification : « non, cela n’ira pas », « je t’ai dit pas ce soir », « je n’ai pas envie ».
  • Une posture d’ancrage aide à être centré et communiquer de manière ferme et douce à la fois. L’ancrage consiste à se tenir à la fois droit-e et souple, ce qui donne une impression de confiance et rend plus difficile la déstabilisation.
  • La technique du poisson froid permet de prendre du recul, de ne pas répondre au tac-au-tac, rester « froid », communiquer de manière non-verbale le message que le message de l’autre ne nous atteint pas. Elle consiste à attendre 5 secondes avant de répondre, tout en gardant une posture laissant transparaître le moins d’émotion possible. Comme dans l’ancrage, il s’agit d’envoyer le message que vous restez « froid-e », que vous êtes « hors d’atteinte » par rapport aux attaques, que vous les esquivez et qu’elles ne vous font rien. Il est important que votre non verbal ne dise pas le contraire, par contre…
  • La fuite. Pour vous protéger ou ne pas laisser transparaître que vous êtes chamboulé-e, il est parfois important de simplement couper court à la conversation et/ou de couper le lien avec la personne qui se comporte de manière agressive avec vous. Ce repli peut être stratégique, temporaire… ou non.
  • La visualisation, quant à elle, nous permet de répondre au besoin de protection : imaginez une bulle bleue autour de nous, une vitre blindée devant nous, etc.

La violence naît d’un déséquilibre de pouvoir, de l’échec des tentatives de dialogue et du déni des demandes de la personne qui subit les comportements visant à prendre l’ascendant dans la relation de l’autre partie. Il faut pouvoir la nommer pour s’en extraire, dans certains cas en se faisant accompagner par un professionnel quand cela est nécessaire.

Cette violence peut être générée par une personne manipulatrice pathologique qui ne peut fonctionner et communiquer de manière assertive.

Dans l’assertivité, un espace de négociation est présent afin de permettre une résolution gagnant-gagnant des conflits. Mais pour négocier de cette façon, il faut que les parties soient dans cette dynamique, en aient le désir et le montrent par les actes et une attitude d’ouverture et d’authenticité au travers du dialogue.