Cet article fait partie d’un dossier de fond relatif au « management émotionnel ». Ce document a été produit par le Groupe de Travail « Âge adulte » du Conseil académique en gestion de conflits et en éducation à la paix. Il est issu d’une réflexion ayant débuté en septembre 2015.

Plan du dossier

Des approches pour développer un management émotionnel efficace (2)

Les enjeux

Une méthodologie pour mettre de la distance entre un individu et ses propres réactivités ou difficultés émotionnelles consiste à le mettre dans des situations plus ou moins fictives ou métaphoriques. L’idée de celles-ci consiste pour le participant à se demander « ce qu’il y a en jeu », les enjeux. Cette notion d’enjeu recouvre « ce qui est important » pour les acteurs ou dans la situation : des valeurs, des besoins, des objectifs, des relations de pouvoir…

Cette approche expérientielle peut permettre de clarifier des situations problématiques, mais aussi de tester des comportements et d’évaluer leurs impacts. L’intérêt pour les individus est de jauger comment ils réagissent, pour( )quoi ils le font, ce qui pourrait les aider à agir autrement, ce qui les en empêche, etc.

Nous retrouvons ici le double appel au cognitif (observer, comprendre, clarifier, identifier) et au comportemental (mise en place de comportements différents, test d’attitudes différentes, etc.).

L’ouvrage Jeux pédagogiques et analyse transactionnelle donne plusieurs autres exemples d’activités de ce type.

Cardon, A., Jeux pédagogiques et analyse transactionnelle, Paris : Eyrolles, 1981.

Un alignement « martial », bienveillant et dynamique

Christian Vanhenten propose quant à lui une approche dans laquelle les émotions s’inscrivent dans un alignement avec les pensées, les besoins et l’identité (« ce que je suis, qui je suis »). Dans une démarche corporelle, la personne est amenée à évaluer comment elle se sent, voir si elle se sent plus ou moins stable, plus ou moins droite. L’idée est de partir du corps pour aller vers le cognitif.

Pour agir sur des croyances « limitantes », par exemple, il est possible d’avoir recours à des recadrages de points de vue, c’est-à-dire à des reformulations qui poussent à voir la réalité autrement.

Par le langage – des mots et du corps, il s’agit de jouer sur la stabilité et l’orientation de la posture de la personne. L’idée est qu’une personne qui a un problème peut être dans une position stable par rapport à celui-ci. Le système est à l’équilibre, mais il est problématique. Dès lors, pour retrouver un nouvel équilibre, le système doit passer par une posture instable. Cette approche consiste notamment à insuffler – littéralement – le mouvement.

Recommandations

Une approche corporelle des émotions et de « l’équilibre »

Une approche corporelle permet de prendre distance avec une analyse purement mentale, parfois dysfonctionnelle. Le fait de passer par le ressenti de tout le corps et par des formes de « recadrage » de points de vue peut permettre de retrouver un équilibre de façon plus efficace.

Une approche en mouvement, dynamique, pour s’adapter au changement

Cette approche est également axée sur le mouvement et l’adaptation au changement. L’équilibre et la stabilité sont des notions centrales dans cette discipline. En travaillant sur leurs bases – leurs appuis – et leur mobilité (qu’il s’agisse des appuis du corps ou de l’esprit, et donc de l’identité et des besoins également), les individus peuvent retrouver plus de stabilité.

Les émotions et le cerveau

L’approche neurobiologique demeure une porte d’entrée intéressante pour comprendre le fonctionnement des êtres humains.

Paul D. Mac Lean distingue trois zones du cerveau [Mac Lean, P., Les trois cerveaux de l’homme, Paris : Robert Laffont, 1970] :

  • « Reptilien », « primitif »
  • Le système limbique (cerveau « mammifère »)
  • « Humain » : le néocortex (cerveau « humain »)

Selon cette thèse du cerveau « triunique », chacune de ces zones serait impliquée dans des comportements particuliers. Il s’agit d’un postulat comportementaliste.

Les comportements dits « reptiliens » sont de l’ordre de la fuite, du combat ou encore de l’inhibition de l’action (voire d’un état de sidération, forme aggravée de l’inhibition). Un reptile agit seul, pour sa propre survie.

Les comportements dits « mammifères » sont des comportements davantage liés à des émotions de base comme la peur, la colère, la tristesse ou la joie. C’est à ce niveau qu’il est possible de développer de l’empathie.

Enfin, les comportements dits proprement « humains » sont apparentés au calcul rationnel, à l’usage de la logique.

A la suite de ces travaux et des évolutions dans les connaissances en neurobiologie (entre autres grâce à l’imagerie par résonance magnétique),  Jacques Fradin et ses collègues (notamment au sein de l’Institut de NeuroCognitivisme) ont complexifié ce modèle en identifiant quatre zones dans le cerveau : le territoire reptilien (stress « primaire », s’exprimant à travers la colère, l’anxiété, le découragement – fuite, combat, inhibition), le territoire paléolimbique (agressivité de l’ordre de la domination, rapports de force, comportements grégaires), le territoire néolimbique (apprentissage et émotions) et enfin le cortex préfrontal (construction d’opinions, adaptation au changement, etc.).

> Cf. entre autres : Fradin, J., Lefrançois, C., « Dominant ou dominé », in Cerveau & Psycho no 20, 2007, pp. 36-41. Voir aussi http://www.neurocognitivisme.fr/fr/notreapproche/index.php?doc_id=254

Ces thèses sont aujourd’hui encore discutées au sein du corps scientifique, afin d’être améliorées et nuancées (notamment en ce qui concerne l’indépendance et l’interdépendance de ces zones du cerveau).

Conscients de cela et au-delà de la dimension comportementaliste de ces modèles, ils nous permettent en tout cas de distinguer des comportements typiques et d’élaborer des stratégies pour permettre aux individus de changer, d’agir autrement lorsqu’ils le souhaitent.

Pour Fabrice Charles (auteur du modèle de la « Cohérence Somato Psychique » (CSP)), pour impulser le changement, il s’agit d’amener les personnes à développer chacun des niveaux, avec un focus spécifique sur le « niveau mammifère », c’est-à-dire sur les manières de fonctionner impliquant des émotions, de l’empathie.

Il distingue trois types de profils :

  • Les individus qui fonctionnent en accumulant des ressources (appât du gain). Ce sont des « chasseurs », ils sont animés majoritairement par la question de leur survie.
  • Les individus qui fonctionnent au niveau des affects, de la compassion.
  • Enfin, ceux qui fonctionnent dans la gestion, le calcul, l’intellectualisation. Ce sont des « inventeurs », ils sont animés majoritairement d’un point de vue cognitif.

Selon Fabrice Charles, un enjeu pour ces trois types de travailleurs consiste à « créer une famille », à « vivre ensemble ». Il s’agit de créer un modèle de « meute » avec un dominant qui est davantage respecté que craint (cf. considérations ci-dessus quant au leadership).

Il ne « suffit » pas d’amener les gens à se « comporter en mammifères ». Les trois types de comportements (« reptile », « mammifère » et « humain ») sont tous à développer le plus uniformément possible (vers plus d’adaptabilité, de « liberté » par rapport aux conditionnements).

Toutefois, le type de comportement « mammifère » est en général la source de problème en entreprise. Il est dès lors possible de formuler, pour chaque profil, des recommandations pour mieux interagir en développant son empathie, ou du moins sa compréhension des autres types de fonctionnement.

En effet, le comportement typique reptilien consiste à « venir chercher son argent ». C’est un comportement de subsistance.

Le comportement typique « humain » correspond à la résolution de problèmes. Il s’agit de construire des projets, inventer, planifier, etc. Dans ces 2 propositions, le côté « meute » n’intervient pas forcément.

Or une organisation humaine est centrée automatiquement sur le côté « meute », qui représente aussi comment celle-ci fonctionne. C’est pourquoi, pour lui, le « côté mammifère » est celui à surdévelopper en entreprise. Il s’agit de développer le sens de la responsabilité par rapport à l’autre, par rapport au collectif.

Sur base des travaux de Jean Lerminiaux [Lerminiaux, J., « Image mentale et développement de la maladie », Conférence donnée à la Sorbonne, le 30 juin 2007], Fabrice Charles invite à prendre conscience de notre « image mentale », c’est-à-dire de la « vision du monde » que nous avons (à propos de notre propre fonctionnement, du monde et des relations avec les autres) et qui influence nos manières d’agir. Il s’agit d’un ensemble de représentations qui, lorsqu’elles sont ramenées à la conscience, permettent à l’individu de changer de comportements.

Dans le contexte de « meute » en entreprise, l’image mentale de chacun est reliée au fantasme de « ce qui marche en société », et c’est cela que l’individu va reproduire inconsciemment au travail.

Comme chacun a sa propre image mentale de comment les choses doivent fonctionner, la détecter permet ensuite de choisir en conscience. Par exemple, une famille qui ne peut communiquer qu’en se disputant engendre un apprentissage qui sera ensuite inconsciemment transposé à une autre « meute », comme un service d’entreprise. Il s’agit d’une forme de conditionnement. En faire prendre conscience et fournir de nouveaux outils peut changer la vie dans un groupe.

Autrement dit, le fait de ramener à la conscience ouvre la possibilité de changer, le choix de changer ou non. Ce qui en résulte n’est pas un processus automatique, mais un vrai changement volontaire.

En termes d’outils, il s’agit alors d’aider chacun à harmoniser ses 3 « statuts » (« reptile », « mammifère », « humain ») en les développant tous à l’équilibre ou du moins en faisant comprendre aux autres que chacun a des priorités différentes, tout en communiquant le « mode d’emploi » de chaque « type » au niveau relationnel.

Ce modèle peut aider à diagnostiquer des comportements, les faire émerger à la conscience, et à clarifier des pistes d’action. Par exemple, si l’on interroge la confiance dans une équipe, on peut évaluer dans quelle mesure les défis se situent au niveau « reptilien » (confiance en ses propres aptitudes, en ses capacités), au niveau « mammifère » (confiance en autrui, d’un point de vue affectif) ou encore « humain », cognitif (confiance dans les compétences en termes de résolution de problème).

Recommandations

Comprendre la fonction de l’émotion et prendre conscience de ses propres « images mentales »

Ceci peut se faire par exemple à travers des questionnaires.

Une communication vraie

Pour Etienne Chomé, cette question de la confiance en lien avec les émotions a toute sa place au sein de ce qu’il appelle la communication vraie.

Il distingue la communication vraie de la négociation efficace et du cadre de droit.

Selon lui, un cadre de droit ne s’évalue pas en fonction de la confiance que peuvent s’accorder les individus, sur des bases empathiques ou émotionnelles, mais à la qualité de sa structure. L’autorité – la loi – fonctionne de manière dépersonnalisée : ce n’est pas une affaire de personne, et il ne faut pas d’impunité.

Une négociation efficace, quant à elle, correspond à des objectifs, des finalités.

Ces distinctions invitent à réfléchir à la pertinence d’une intervention relative aux émotions en entreprise, alors que les enjeux sont peut-être ailleurs.

En termes d’application, Etienne Chomé utilise également la métaphore du « système de famille intérieure ». Selon cette image, nous avons tous chacun des parties de nous-mêmes qui correspondent soit au cadre de droit, soit à la communication vraie, soit à la négociation efficace. En partant du domaine dans lequel l’individu se sent le plus en sécurité, il s’agit de l’amener à se connecter à ces autres parties et à les faire dialoguer entre elles, de manière harmonieuse. Le « capitaine » concilie les parts.

En quelque sorte, il s’agit d’une méthodologie de résolution de conflits intérieurs. Pour chaque partie, l’individu est amené à accéder à ses ressources à travers l’observation de ses sentiments et besoins, et à formuler une demande à chacune de ses parties.

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