Quelles pistes éducatives face à la radicalisation ?

Synthèse du Groupe de Travail (GT) du Conseil Académique en gestion de conflits et en éducation à la paix, ayant travaillé sur la question de la radicalisation à l’adolescence.

La production détaillée de ce GT est disponible ici : https://www.universitedepaix.org/la-radicalisation-quelles-pistes-educatives

Collectif.

La production détaillée de ce GT (Dossier) est disponible sur https://www.universitedepaix.org

Dans cet article, nous nous focalisons sur les phénomènes de radicalisation extrémiste, en tant que ceux-ci supposent la légitimation d’une certaine forme de violence et le rejet du pluralisme. Notons que nous avons également choisi de traiter ce thème indépendamment de sa dimension religieuse (par rapport à cette question, nous renvoyons aux Cahiers de l’Université de Paix, disponibles en ligne sur notre site).

La question qui nous occupe est la suivante : comment certains jeunes en viennent-ils à cautionner une certaine vision positive de la violence, voire à passer à l’acte violent ? Comment faire face à ce phénomène ?

Une approche globale de la prévention

Le Groupe de Travail a rappelé l’importance de considérer le phénomène dans une approche globale. A travers sa « pyramide de la prévention », Johan Deklerck invite à considérer plusieurs niveaux d’action pour favoriser un climat de bien-être et un vivre-ensemble harmonieux en société (pour en savoir plus sur ce modèle, lire notamment « Travailler le relationnel à l’école : au-delà des mesures curatives », 2015).

Deklerck – Pyramide de prévention

Cela ne signifie pas qu’il faut négliger les problèmes et délaisser les mesures curatives. C’est d’ailleurs souvent après un événement tragique ou une crise que les individus souhaitent changer. Selon Dilts, la motivation à agir et à développer des compétences dépend de la manière dont les individus se perçoivent et perçoivent le monde dans lequel ils évoluent. S’ils n’envisagent pas la nécessité de changer, il n’y a pas de raison qu’ils intègrent de nouvelles capacités. Un travail par la porte d’entrée « curative » n’est donc pas à exclure. Des activités de sensibilisation peuvent également être vectrices d’implication.

Toutefois, certaines crises peuvent paralyser l’action. Dans plusieurs cas de crise, la priorité va dans la gestion du choc post-traumatique. Il s’agit d’un processus qui prend son sens sur le long terme, et qui se nourrit de la prise de distance. Pour ce faire, la mise en place d’un espace de communication pour accueillir et partager les émotions peut être adéquate. Pour prendre une métaphore, lorsqu’il y a le feu dans la maison, la priorité consiste à éteindre l’incendie et non à arrêter le pyromane.

Agir sur les croyances et représentations des adultes

Aborder le thème de la radicalisation passe souvent par le fait de modifier la compréhension que les individus en ont. En effet, c’est un phénomène extrêmement complexe.

En tant qu’adultes, nous avons tous des représentations diverses autour des adolescents. Dans certains cas, ces préjugés peuvent être un frein à une action éducative efficace. Face à des propos radicaux extrémistes, cautionnant une certaine forme de violence, les intervenants éducatifs peuvent se sentir démunis. Il peut alors être tentant de se limiter à une opinion simple dans laquelle le jeune en train de se radicaliser aurait simplement un « mauvais fond », serait un « simple d’esprit », etc. Dans ce cas, le jeune est « irrécupérable », il n’y a rien à faire pour lui, on ne peut que tâcher de s’en protéger.

Comprendre les processus à l’œuvre ne signifie pas accepter les comportements destructeurs. Il est possible de prendre en compte le vécu social et émotionnel d’un jeune, ou encore les dynamiques de groupe en lien avec sa situation, sans toutefois cautionner ses actes, gestes ou discours violents. Autrement dit, nous soutenons qu’en comprenant mieux le phénomène complexe de radicalisation, les adultes pourront mieux intervenir et prévenir celui-ci.

L’adolescence comme quête et comme « passage », par le corps et dans la prise de risque

Dans les années 1930, des jeunes sont partis vers l’Espagne pour prendre les armes contre le régime de Franco. Courant des années 1950, d’autres sont partis se battre en Corée. Comment comprendre ces jeunes qui sont partis risquer leur vie à la guerre, dans un processus qui ne semble visiblement pas neuf ?

Une hypothèse se situe dans l’idée de « passage » que représente l’adolescence. Cette période est celle qui précède l’entrée dans « l’âge adulte ». Cela suppose une certaine « construction » de l’identité, ainsi qu’un certain rapport au risque.

Pour Philippe van Meerbeeck, la prise de risque est constitutive de l’adolescence. Or, la recherche du risque peut mener à des comportements dangereux, consistant à se « mettre à mal ». Selon la philosophe Isabelle Stengers, en développant un idéal de non-risque (nous voulons éliminer tous les risques pour les jeunes), nous cessons d’accompagner le jeune dans sa prise de risque. En conséquence, les adolescents sont exposés à des risques beaucoup plus graves, dans lesquels certains individus ou groupes leur proposent des réponses toutes faites, comme c’est le cas dans une certaine forme de propagande guerrière qui s’adresse spécifiquement aux jeunes.

La place particulière de la recherche d’expériences initiatiques au moment de l’adolescence invite à développer un travail d’exploration de l’intériorité : « qui suis-je, à quoi je sers ? ». Cette quête de sens a des composantes identitaires profondes.

Or, l’extrémisme radical est porteur de promesses très fortes. Cela peut être une offre « rassurante » de réponse(s). De plus, c’est un vecteur potentiel d’estime de soi : « vous serez un héros », « vous allez changer radicalement le monde », « vous allez servir une cause supérieure, la plus haute et noble cause ». Le moyen proposé est un moyen destructeur, mais il est associé à des valeurs élevées, un idéal de changer le monde. Les stratégies de recrutement promettent également un grand sentiment d’appartenance : « nous serons toujours là pour toi, nous sommes ta famille ». Ce n’est généralement pas les jeunes qui décident par eux-mêmes d’aller vers le groupe de haine, mais le groupe de haine qui recrute activement.

Le directeur d’étude à l’EHESS et spécialiste des mécanismes de radicalisation Farhad Khosrokhavar va même plus loin : « [le drapeau du terrorisme radical et violent] est devenu comme une sorte d’insigne dont on se sert pour résoudre son malaise avec, j’insiste, un point fondamental dont on ne soupçonne pas la force chez beaucoup de gens : l’aspiration à la célébrité ». Les tueries sont massivement relayées dans les médias. L’individu qui commet un tel acte est au centre de l’attention, des projecteurs. Le message violent n’est alors qu’un prétexte morbide pour exister.

Ces considérations supposent des pistes éducatives : travail sur le fait de trouver un rôle constructif et épanouissant dans la société, réflexion sur la place idéologique de la célébrité comme vectrice de sens et de bonheur… Au-delà de ces pistes, ceci peut nous interroger quant à la manière de « mystifier » voire de « glorifier » les tueries de masse, notamment par le traitement médiatique qui leur est accordé. En en faisant les porte-drapeaux d’une cause transcendante, inspirant la peur au monde entier, en boucle dans les médias ou sur les réseaux sociaux, le terreau semble propice à un effet « copycat » (effet d’imitation).

Des jeunes « désaffiliés »

Certains jeunes qui se radicalisent peuvent être victimes de phénomènes d’étiquetage, d’exclusion ou encore de certaines formes de stigmatisation. Ces phénomènes peuvent prendre la forme de comportements racistes ou xénophobes, mais aussi de façon moins perceptible de stéréotypes et de clichés.

Or, il existe un consensus en psychologie sociale par rapport à l’idée que les étiquettes et autres catégorisations sociales ont un impact sur les manières dont un individu se perçoit et se comporte en conséquence.

Pour Robert Castel, la situation des individus marginalisés correspond à « l’aboutissement d’une dynamique d’exclusion ». Il propose le concept de désaffiliation sociale pour comprendre comment on peut en arriver à se positionner « en-dehors » de « la société ». La désaffiliation sociale s’inscrit dans un processus d’exclusion (une forme de « vulnérabilité », de « fragilisation ») qui se manifeste à un moment donné par la volonté de l’individu d’acter une forme de refus.

Pour l’auteur, si un individu peut « descendre » les échelons à travers ce processus (de l’intégration à la désaffiliation en passant par une zone de vulnérabilité), il devrait également lui être possible de les « remonter », c’est-à-dire de se « réaffilier » socialement.

Il est par exemple observé que le djihadisme s’exacerbe en prison. Lorsqu’une personne est emprisonnée, elle est étiquetée comme « inapte » à vivre en société. Elle peut alors se réapproprier le discours selon lequel elle ne veut pas de cette société qui ne veut pas d’elle. Par rapport à la lutte contre la radicalisation extrémiste, la prison s’avère parfois être une réponse contreproductive. Il ne s’agit pas ici de dire qu’il ne faut pas sanctionner les crimes, mais bien de questionner le suivi et l’accompagnement des jeunes en proie à la radicalisation. Quels sont les processus d’inclusion, de (ré)intégration de ces jeunes en société ? Comment ne pas favoriser l’identification à une étiquette de paria, de martyr qui aspire à la vengeance, et plutôt, au contraire, permettre la perspective d’une insertion respectueuse dans la société ?

La radicalisation extrémiste peut également être favorisée par un sentiment d’injustice et d’inadéquation. Cette thèse repose sur des hypothèses humanistes selon lesquelles aucun être humain n’est intrinsèquement « mauvais ». Chaque être humain est par contre traversé par des besoins et des émotions. En somme, selon cette approche, la souffrance ou le manque à l’origine de la colère et des frustrations peuvent engendrer de l’hostilité et par la suite amener à des comportements destructeurs.

Notons l’importance de distinguer un vécu émotionnel d’une pensée hostile et d’un acte destructeur. Tous les jeunes qui ont des pensées violentes ne passent pas à l’acte, et tous ceux qui ressentent une émotion désagréable n’en viennent pas à développer de l’hostilité.

En outre, il est judicieux de noter que l’identification à un « corps combattant » n’est pas toujours le fait d’une adhésion idéologique forte, et encore moins d’une construction rationnelle réfléchie. Il arrive que certaines personnes rejoignent une cause sans en avoir une connaissance très poussée (au contraire). L’adolescence est aussi caractérisée par un corps qui « bouillonne », à découvrir et à apprivoiser. Il est le lieu non seulement d’un certain nombre de besoins et d’émotions, mais aussi de pulsions. Dans cette optique, apporter des réponses au niveau du « sens », des valeurs et des idéaux ne suffit peut-être pas. Il s’agit aussi d’apprivoiser un corps, de le découvrir et d’en canaliser les énergies.

Il importe enfin de différencier des comportements qui peuvent s’apparenter à des formes de sociopathie, de psychopathie ou encore de sadisme latents (caractérisées entre autres par le plaisir dans l’idée de faire souffrir), d’une forme de « fragilité » émotionnelle et affective que l’on pourrait par exemple retrouver chez des individus qui adhèrent à des sectes, ne se rendant pas compte de ce dans quoi ils s’engagent. Concrètement, l’adhésion à un dogme valorisant la destruction peut être elle-même influencée par une propension pathologique à la destruction, ce qui en soi nécessite une prise en charge spécifique.

Un système de croyances et une logique paranoïde

Parallèlement au travail effectué avec les adultes sur leurs représentations à l’égard des jeunes et de la radicalisation extrémiste, les croyances et les attitudes par rapport aux croyances (relativement « fermées » ou « ouvertes ») peuvent faire l’objet d’un apprentissage spécifique.

En effet, le discours extrémiste radical se caractérise par un rapport particulier à la croyance. Il s’agit d’une logique paranoïde, qui réinterprète toute information en fonction d’un discours dogmatique préalable. Toute pensée contraire trouve sa réfutation au sein même du dogme. Cela ressemble fort au système des sectes qui prévoit les contre-discours : « ne crois pas la personne qui te dira le contraire, car elle a tel ou tel intérêt à te manipuler ». En anticipant la position adverse, leur discours se voit renforcé et semble digne de confiance. L’adhérent peut alors se dire : « c’est la vérité, on m’avait prévenu : quelqu’un a effectivement essayé de me convaincre avec cet argument » !

Ici, le problème n’est pas tant dans la croyance elle-même que dans un rapport fermé à cette croyance. Il s’agit de la seule vérité indubitable et absolue, qu’il faut d’ailleurs imposer aux autres.

A ce titre, il est possible de ne pas aborder la croyance de manière frontale, mais plutôt de travailler sur le rapport aux croyances. Ainsi, à travers sa « trialectique », Gérard Gigand note qu’un point de vue est caractérisé par une triple zone d’ombre :

  • Incomplétude (partiel). C’est l’idée que de ma position, je ne peux pas tout voir. J’ai un champ de vision limité. Par exemple, je ne vois jamais que 3 faces à la fois lorsque j’observe un cube.
  • Autoréférence (partial). Ma perception est influencée par mon propre regard, le prisme par lequel je choisis de regarder. Cela correspond à l’implication du sujet dans l’observation.
  • Indétermination (parcellaire). Ma perception est sélective. Il existe à ce titre un certain nombre de biais attentionnels à faire expérimenter aux élèves, notamment « l’illusion du gorille ».

Pour passer d’un paradigme de croyance à un autre, il est nécessaire de prendre en considération certaines étapes de développement sociocognitif. Cela passe notamment par la prise en compte de sa « vision du monde », de ses représentations initiales et de ses « mécanismes » de pensée.

Pour Edgar Morin, critique envers l’usage du mot « terrorisme », il y a bien « une structure mentale commune » au passage à la pensée fanatique :

« C’est pourquoi je préconise depuis vingt ans d’introduire dans nos écoles, dès la fin du primaire et dans le secondaire, l’enseignement de ce qu’est la connaissance, c’est-à-dire aussi l’enseignement de ce qui provoque ses erreurs, ses illusions, ses perversions.

[…] Or, comment devient-on fanatique, c’est-à-dire enfermé dans un système clos et illusoire de perceptions et d’idées sur le monde extérieur et sur soi-même ? Nul ne naît fanatique. Il peut le devenir progressivement s’il s’enferme dans des modes pervers ou illusoires de connaissance. Il en est trois qui sont indispensables à la formation de tout fanatisme : le réductionnisme [penser connaître un tout en le réduisant à une de ses parties], le manichéisme [évaluer en termes de bien / mal absolus, de manière binaire, sans nuance], la réification [réduire la complexité à une seule dimension, n’avoir qu’un seul principe permettant de donner du sens au monde] ».

Internet et la radicalisation

Dans certaines situations, Internet peut être un catalyseur du processus de radicalisation. Internet n’est pas une cause directe de désaffiliation sociale. Néanmoins, en tant que « lieu » de partage et d’interaction, le réseau en ligne peut intensifier des phénomènes sociaux, positifs comme négatifs.

En effet, des personnes déjà « en accord » ou du moins « prêtes à entendre » les discours radicaux guerriers s’y retrouvent potentiellement fort exposées à ces discours. Souvent, les médias numériques sont utilisés pour « faire plus de la même chose », pour se retrouver entre semblables. Malgré l’accès potentiel à une grande diversité, beaucoup d’internautes se confinent dans des niches culturelles (« bulles de filtre ») et recherchent « le même » plutôt que « le différent ». Les usages du web alimentent les fonctionnements « hors ligne ». La possibilité de se connecter et de « fréquenter » au quotidien des groupes d’influence peut renforcer le sentiment d’appartenance du jeune, contribuer à l’exposer à encore plus d’endoctrinement, etc.

Quelques pistes éducatives

Travailler au-delà d’une logique purement « répressive », sur différents niveaux de réalité

Si les règles et les sanctions font partie de la vie et de l’apprentissage, il est important de les accompagner de communication et de développer des pistes préventives.

Les causes possibles d’un comportement ne se situent pas seulement dans le vécu « psychologique » de l’individu, mais aussi à d’autres niveaux de la réalité sociale : interpersonnel, groupal, organisationnel… Par conséquent, il nous semble judicieux de décliner nos pistes au niveau « individuel » (estime de soi, maîtrise du corps, travail sur le sens et les valeurs…), au niveau « relationnel » (communication, expression des émotions, déconstruction des préjugés, écoute, décentration et empathie…) et au niveau « collectif » (appartenance à un groupe, vécu d’expériences partagées, dynamique de groupe positive, régulation, etc.). Ce dernier point suppose également une dimension d’accueil et d’inclusion, la construction d’un socle commun de valeurs et l’organisation d’espaces de rencontre et de partage, en classe comme en société.

Pistes au niveau « individuel »

Développer l’estime de soi des jeunes

Travailler leur sentiment d’avoir de la valeur au sein de la société, la conscience de leurs qualités, de leurs forces et de leurs limites. Il s’agit de leur donner des opportunités d’apprendre à mieux se connaître (soi-même et avec les autres) et se dépasser (vivre des expériences de réussite), dans un cadre sécurisé et favorisant l’appartenance à un groupe.

Travailler à « construire du sens »

Partager un questionnement sur les valeurs, les idéaux, ce qui est porteur de sens pour chacun. Il s’agit de favoriser une réflexion partagée sur les valeurs « pour la vie » : qu’est-ce qui est important pour vous ? Quelles sont vos aspirations profondes ? Comment vivre ensemble en communauté, de manière harmonieuse, dans nos ressemblances et nos différences ? Quel monde voulons-nous ?

Dans le prolongement de cette piste, il s’agit aussi de réfléchir ensemble aux croyances de chacun, de partager un examen critique de différentes « réponses possibles » à des questions métaphysiques (Dieu, l’âme, la mort…) et morales (Qu’est-ce qui est bien / mal ?). Un premier enjeu consiste à donner des repères aux jeunes, afin qu’ils puissent choisir consciemment les valeurs auxquelles ils adhèrent, et se rendre compte qu’il y a du commun dans les pratiques religieuses ou laïques. Un second enjeu se situe dans la rencontre et l’apprentissage de l’échange d’idées. Il s’agit de créer un espace de conciliation des points de vue. C’est également une manière de montrer que chacun peut être accueilli dans sa différence, qu’un espace d’expression est possible et qu’une place lui est proposée au sein de la société.

Développer une pensée critique, une pensée complexe, notamment à travers la posture du questionnement

Cette piste consiste à développer une attitude philosophique de recherche active de la vérité (remise en doute, enquête, évaluation de la fiabilité d’un document ou d’une source) et d’exercice de son jugement (aptitudes logiques, ouverture curieuse, créativité, argumentation…).

La raison d’être de cette attitude n’est pas forcément d’apporter une réponse unique (au contraire, dans le cas de phénomènes complexes), mais plutôt de prendre conscience des enjeux liés à une question, des différentes perceptions qui existent à son sujet, ou encore du fait que « l’autre ne pense pas nécessairement comme moi ».

Il s’agit de se poser des questions qui n’ont pas qu’une seule réponse. C’est une manière de se distancier d’une forme de dogmatisme selon laquelle il y a une seule explication totale, une vérité absolue qui doit être imposée à tous. Chaque croyance est relativisée sans pour autant aboutir à un relativisme où toutes les positions se valent. Plutôt que de dire « il n’y a pas de (bonne) réponse » ou « il n’y a qu’une seule (bonne) réponse », l’idée est de montrer qu’il y a plusieurs réponses, et que celles-ci peuvent « cohabiter ».

Développer l’intelligence « corporelle »

Il s’agit d’approcher les émotions, les besoins et les pulsions par le corps. Il est question ici d’apprivoiser le corps, d’en prendre conscience et d’apprendre à utiliser l’énergie qui le parcourt à travers des comportements non-destructeurs (pratique d’un sport, pleine conscience, aikido, thai chi…).

Pistes au niveau « relationnel », interpersonnel

Prendre conscience de l’autre différent, de la complexité du monde

Toujours en lien avec les pistes précédentes, il est possible de prendre un moment pour simplement acter la diversité des points de vue et des « lectures » et interprétations du monde, sans autre forme de jugement, lorsque celles-ci sont compatibles entre elles. Le simple fait qu’il y ait plusieurs manières de percevoir la réalité peut en soi être un apprentissage.

Par rapport à cette finalité pédagogique, il peut être intéressant de s’exercer à la décentration, au changement perceptuel. A l’aide de questions simples, le but est d’amener le jeune à se mettre à la place de l’autre et à adopter une autre vision des choses : que crois-tu que l’autre pense ? Comment se sent-il dans cette situation ? Qu’est-ce que l’autre pense que je pense de son opinion ?

Ceci peut également être mis en parallèle avec le développement de l’empathie : l’enjeu est de comprendre à la fois ce que l’autre vit (émotions, besoins, sensations…), et ce que l’autre pense (pensées, jugements…). La connexion à l’autre est à la fois émotionnelle, dans le « vécu », et cognitive, dans le contenu de pensée et le raisonnement. Dans les deux cas, il est question de le rejoindre sans nécessairement être d’accord avec lui.

Cette démarche de diversification des points de vue s’oppose à une dynamique de radicalisation. Le caractère dogmatique de la radicalisation extrémiste se situe au-delà du contenu de pensée : c’est une manière de concevoir le monde selon laquelle il n’y aurait qu’une seule vérité absolue et indiscutable.

Expérimenter différentes attitudes par rapport à ses convictions

Ce n’est pas tant dans la croyance que dans les attitudes en lien avec nos croyances (religieuses, morales, politiques…) que des problèmes se posent. Il est possible d’avoir la foi sans vouloir imposer son mode de vie ou ses pratiques à autrui. Il peut donc être judicieux de prendre conscience des différentes attitudes par rapport à une croyance et des impacts potentiels de ces attitudes.

Accueillir les émotions, apprendre des compétences sociales et émotionnelles

Il s’agit d’apprendre à exprimer ses émotions (et besoins) de manière non-violente. Cela va de pair avec une certaine forme d’empathie. Il s’agit d’apprendre aux jeunes à mieux distinguer ce qu’ils éprouvent (y compris à travers un vocabulaire spécifique), à mieux l’identifier chez eux et chez les autres, à canaliser leurs tensions et à les exprimer sans blesser autrui.

Pistes au niveau « collectif »

Apprendre et comparer l’histoire et la philosophie des religions et des métaphysiques non religieuses (athéisme ou autres)

Il s’agit d’explorer les « réponses » qu’offrent les différentes religions et doctrines non religieuses, et d’analyser en quoi elles se rejoignent. Un autre enjeu est de pouvoir connaître la croyance de l’autre, en comprendre la signification et les origines.

Cette réflexion partagée a également pour objectif de faire expérimenter le débat pluraliste, la discussion coopérative dans laquelle l’objectif est de construire ensemble : quelles valeurs communes entre religions ? Quel « universel » humain ? Comment s’organiser en fonction de nos différences ? Cette démarche s’inscrit elle aussi dans le cadre du développement d’une forme de citoyenneté critique.

Travailler sur le sentiment d’appartenance, la place de chacun, l’inclusion dans un groupe

Il s’agit de permettre aux jeunes de vivre des expériences constructives et partagées. Susciter la coopération en soumettant des « épreuves » communes aux jeunes peut renforcer leurs liens sociaux, surtout lorsque celles-ci aboutissent à des réussites collectives, accompagnées d’un sentiment de dépassement. Il semble intéressant d’inclure la dimension corporelle (et non seulement cognitive) dans des formes d’expériences partagées. Cela peut prendre la forme d’une prise de risque « cadrée » permettant de connaître ses forces et ses limites, à travers un sport par exemple. Le but est de renforcer le lien social, les dynamiques de socialisation et « d’inclusion » dans un groupe

Prolongement : des lieux d’échanges et d’« intervision » entre adultes

Nous avons envisagé plusieurs pistes éducatives reposant sur des formes de « vécu partagé », des expériences communes. Celles-ci ont mis l’accent sur différentes dimensions :

  • la question du corps, des émotions et des besoins;
  • la question du sens, des valeurs et des croyances;
  • la question des liens, des relations et de la communication.

Ces axes de travail supposent une approche complexe, ne se limitant pas à une lecture univoque et focalisée sur les symptômes de la radicalisation. Sans prétendre à l’exhaustivité, ceux-ci mettent aussi l’accent sur l’importance d’une prise en charge sur le long terme.

En guise de prolongement, cet article invite aussi à considérer la pertinence de mettre en place davantage de lieux d’échange et de discussion.

Cette réflexion s’étend au-delà des moments de partage entre jeunes. En particulier, dans le domaine éducatif, les adultes témoignent parfois du manque de temps et de lieux pour partager leurs difficultés, leurs pratiques et leurs réflexions, notamment avec leurs collègues ou d’autres intervenants éducatifs.

Ces lieux et moment peuvent être l’occasion d’échanger ses peurs et ses difficultés, de réfléchir sur sa propre pratique, de s’outiller, de varier les points de vue et les grilles de lecture, ou encore de rechercher ensemble des solutions et de « faire des liens » entre collègues.