Cet article fait partie d’un dossier de fond relatif aux pistes éducatives face à la « radicalisation ». Ce document a été produit par le Groupe de Travail « adolescence » du Conseil académique en gestion de conflits et en éducation à la paix. Il est issu d’une réflexion ayant débuté en septembre 2015.

Plan du dossier

Dans certaines situations, Internet peut être un catalyseur du processus de radicalisation.

Internet n’est pas à appréhender comme une cause directe de désaffiliation sociale. Néanmoins, en tant que « lieu » de partage et d’interaction, le réseau en ligne peut intensifier des phénomènes sociaux, positifs comme négatifs.

En effet, des personnes déjà « en accord » ou du moins « prêtes à entendre » les discours radicaux guerriers s’y retrouvent potentiellement fort exposées à ces discours. Souvent, les médias numériques sont utilisés pour « faire plus de la même chose », pour se retrouver entre semblables, entre pairs. Malgré l’accès potentiel à une grande diversité, beaucoup d’internautes se confinent au contraire dans des niches culturelles et recherchent « le même » plutôt que « le différent ». Les usages du web alimentent les fonctionnements « hors ligne », les confortent. La possibilité de se connecter et de « fréquenter » au quotidien des groupes d’influence peut renforcer le sentiment d’appartenance du jeune, contribuer à l’exposer à encore plus d’endoctrinement, etc.

Quelques pistes éducatives

  • Développer une pensée critique, une pensée complexe « en actes ».

Cette piste consiste à développer une attitude philosophique de recherche active de la vérité (remise en doute, enquête, évaluation de la fiabilité d’un document ou d’une source) et d’exercice de son jugement (aptitudes logiques, ouverture curieuse, créativité, argumentation…). Lire par exemple Tozzi, M., Penser par soi-même. Initiation à la philosophie, Lyon : Chroniques sociales, 1996 [Extraits].

  • Plus spécifiquement, expérimenter la posture du questionnement.

La raison d’être de cette attitude n’est pas forcément d’apporter une réponse unique (au contraire, dans le cas de phénomènes complexes), mais plutôt de prendre conscience des enjeux liés à une question, des différentes perceptions qui existent à son sujet, ou encore du fait que « l’autre ne pense pas nécessairement comme moi ». Il s’agit de se poser des questions qui n’ont pas toujours de réponse, ou plutôt qui n’ont pas qu’une seule réponse. C’est une manière de se distancier d’une forme de dogmatisme selon laquelle il y a une seule explication totale, une vérité absolue qui doit être imposée à tous. Chaque croyance est relativisée sans pour autant aboutir à un relativisme où toutes les positions se valent. Plutôt que de dire « il n’y a pas de (bonne) réponse » ou « il n’y a qu’une seule (bonne) réponse », l’idée est de montrer qu’il y a plusieurs réponses, et que celles-ci peuvent être conciliées.

  • Apprendre et comparer l’histoire et la philosophie des religions et des métaphysiques non religieuses (athéisme ou autre).

Il s’agit d’explorer les « réponses » qu’offrent les différentes religions et doctrines non religieuses, et d’analyser en quoi elles se rejoignent. Un autre enjeu est de pouvoir connaître la croyance de l’autre, en comprendre la signification et les origines. Cette réflexion partagée a également pour objectif de faire expérimenter le débat pluraliste, la discussion coopérative dans laquelle l’objectif est de construire ensemble, de trouver du commun : quelles valeurs communes entre religions ? Quel « universel » humain ? Cette démarche s’inscrit elle aussi dans le cadre du développement d’une forme de citoyenneté critique.

  • Prendre conscience de l’autre différent, de la complexité du monde.

Toujours en lien avec les pistes précédentes, il est possible de prendre un moment pour simplement acter la diversité des points de vue et des « lectures » et interprétations du monde, sans autre forme de jugement. Le simple fait qu’il y ait plusieurs manières de percevoir la réalité peut en soi être un apprentissage. Par rapport à cette finalité pédagogique, il peut être intéressant de s’exercer à la décentration, au changement perceptuel [A ce sujet, lire aussi Laing, R. D., Nœuds, Paris : Stock, 1978]. A l’aide de questions simples, le but est d’amener le jeune à se mettre à la place de l’autre et à adopter une autre vision des choses : que crois-tu que l’autre pense ? Comment se sent-il dans cette situation ? Qu’est-ce que l’autre pense que je pense de lui ?

Ceci peut également être mis en parallèle avec le développement de l’empathie : l’enjeu est de comprendre à la fois ce que l’autre vit (émotions, besoins, sensations…), et ce que l’autre pense (pensées, jugements…). La connexion à l’autre est à la fois émotionnelle, dans le « vécu », et cognitive, dans le contenu de pensée et le raisonnement. Dans les deux cas, il est question de le rejoindre sans nécessairement être d’accord avec lui.

Notons une fois encore que cette démarche de diversification des points de vue s’oppose à une dynamique de radicalisation. Le caractère dogmatique de la radicalisation extrémiste se situe au-delà du contenu de pensée : c’est une manière de concevoir le monde selon laquelle il n’y aurait qu’une seule vérité évidente et absolue.

  • Expérimenter différentes attitudes par rapport à ses convictions.

Comme nous l’avons expliqué, ce n’est pas tant dans la croyance que dans les attitudes en lien avec nos croyances que des problèmes se posent. Il est possible d’avoir la foi sans vouloir imposer son mode de vie ou ses pratiques à autrui. Il peut donc être judicieux de prendre conscience des différentes attitudes par rapport à une croyance et des impacts potentiels de ces attitudes.

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